Anniversaire de la résistance, patronnée par une multinationale. Regarder derrière soi. L’iceberg était devant le Titanic.
Mois : juin 2010
Transhumanisme. Projet de se survivre en injectant ses capacités mentales dans la machine. projet d’augmentation de l’homme. L’un des pôles de fuite, l’autre étant l’écologie radicale. L’un comme l’autre sont des fantasmes liés au mode de fonctionnement actuel de notre société. Leur rôle est de fournir de l’espoir. Pour que cela marche, il faut croire à leur possibilité, d’où la consitution de groupes de travail et la collecte de fonds. Si de l’argent afflue, c’est que le projet est viable, etc.
Bellegarde midi. Panier à salade et gendarmes au carrefour, et dans la rue de la République. Et au pont de Coupy, gendarmes le fusil à la main, jambes écartées. Les mamans ramènent leur enfants de l’école. Pas étonnées. Les mamans réagiront le jour où on leur tirera dessus. En attendant, elles ont confiance, ne leur répète-t-on pas chaque soir, à l’heure du journal télévisé, que l’ennemi est ailleurs?
Sentiment identique lors des lectures à la Sorbonne le mois dernier — Godard gère avec brio un musée d’images empoussiérées, les écrivains filent les mots comme on file des perles. En savants persuadés de leur droit. Ils sont à la hauteur de nostalgie, mais leur laboratoire intellectuel est entouré de friches où se décide l’avenir entre bêtise et guerre de l’argent. Vendre des patates sur un marché d’Anthony est plus politique que de gloser sur le Cuirassé Potemkine, l’ascension de la résistance ou le trésor des républicains d’Espagne (vendre des patates, pas créer une O.N.G.)
En présence de Godard, première de Film Socialisme à la salle du Forum. Une soirée culturelle. Ce que ça veut dire? Peut-être ceci : je reconnais deux, trois, dix personnes, professionnelles de la culture. Et ne sais plus leur noms. Déjà observé ce phénomène. Un effondrement brutal de la mémoire. Je leur tends la main et je bredouille et je hoche la tête avec force espérant que cela suffira. Puis la séance, ennuyeuse. Chaud, trop de monde, que font ces gens dans cette salle? Ils accomplissent un devoir? Prouvent qu’ils en sont. De la culture. Côté film, association d’images, de musiques, de citations. Une petite techno. Ici et là, dans les rangs, on chuchote “c’est génial!” Vient le débat. Ricardo Petrella, économiste. Si on l’invite, c’est, je suppose, parce qu’il va de soi que le film de Godard est politique. J’ai rien remarqué. Ou alors le fait de glisser une image de Berlin en feu et le mot Palestine? Godard: “je ne sais pas ce que j’ai voulu dire.” Le programmateur de la soirée, se récrie: “tout de même, on voit bien…” Puis le public, du moins son élite, surinformée, avec des questions tels que “la métaphore de l’eau dans votre oeuvre…” Enfin à minuit, l’équipe du Forum (balayeur, directeur… leurs copains, copines) mange du saumon à la main.
Certitude au milieu de la nuit. Cesser mon chantier de rénovation de la cure de Lhôpital, revendre la maison, prendre un billet de train, prendre le train pour le Gers, et me tenir là, dans l’autre maison, et boire, et manger, et dormir et rien du tout.
Puis le matin, je vois que je suis dans la chambre 501 de l’hôtel du Départ, à Paris, les fêtards qui ont brisé des bouteilles sur la terrasse des galeries Lafayette se sont tirés, un vent souffle dans ma lucarne, je me penche pour pénétrer dans la salle d’eau, pour ne pas me cogner au lambris, je fais couler l’eau et je me souviens que j’ai des enfants, qu’il vaut mieux finir le chantier de la cure, désherber les framboisiers, poser le parquet, poser le papier peint, arroser les tomates, couvrir le bois, travailler, travailler, travailler.
Deux jours durant J‑P filme. Les lectures à la Sorbonne, nos lectures au Musée national de l’immigration, les crocodiles dans la fosse, le repas au restaurant des Cascades et un épatant garçon de café breton, et au moment de nous quitter, Popescu, la traductrice, le philosophe et moi, comme la rame de métro s’arrête su les quais de Strasbourg-St-Denis:
- J’habite un lieu silencieux, j’essaie d’organiser mon monastère là, c’est pas facile au milieu de Paris.
Un heure du matin. Enfin je suis seul, j’ai quitté les écrivains. Je me hâte vers l’hôtel du Départ quand je croise deux hommes trapus, au crâne ras, sans cou, bras gros et gras et duveteux. Des matons. Des déménageurs de pianos, des masseurs de cervicales. Non — l’un d’entre eux est l’écrivain O.T. Nos regards se croisent. Je vendrais ma mère plutôt que de lui parler.
Lentement je déambule au jardin des Halles. Fait le tour des rangs de prière dans St-Eustache. Je songe à saluer le père Oreste. De la salle paroissiale viennent les échos d’une activité. Gens réunis avec entre les doigts de petits verres. Je m’avance quand… mon T‑shirt! Il porte mon nom en lettres de flammes et un crucifix inversé au milieu. Une mauvaise idée. Comment le père n’y verrait-il pas une intention? Je ressors, m’assieds sur la place à la tête échouée. Plus loin des manoeuvres serbes ivres alpaguent un touriste japonais. Il se dégage, effrayé. Je passe. Un fille se dirige vers les manouvres. Ils baissent la tête, l’abandonnent à son projet, passer. Je serai intervenu. Puis rue de Rivoli, sous la puie. Et place de la Bastille. Un gamin en skate derrière sa mère. Il s’essaie à des figues de free. Il est nul. Envie de lui dire: t’es pas fait pour ça mon gars! Sur les marches de l’opéra, un contingent nègre, des manifestants, des sans-papier. Serrés dans les paniers, les CRS surveillent. Quelques nègres, allongés devant la vitrine d’un commerce désaffecté, et maculé, et sale — affiches, graffitis, vomissures — prient leur dieu d’importation. Je marche lentement. Le train part dans 50 minutes.
Hôtel du départ. Où on me loge. Dans la soupente. La baignoire en forme d’amende. Vue sur le terrasse de la gare Montparnasse avec une émeute festive à l’entrée d’un bar sous tente dont le lumière est roulée par une boule disco. Depuis le matin, sensation de remonter un fleuve à contre-courent. Maintenant, glissé entre les draps je retrouve un équilibre. Et j’écoute. Fourmilière.