Dans ce village d’uen seule rue qui apparaissait en rêve ne vivait que trois familles et toutes trois se tenaient sur leur véranda pour me voir passer. La première, blanche, était chenue et dispersée, pleine d’une héroïsme fatigué, elle luttait contre la mort. La seconde, noire, était crasseuse et désordonnée, incapable de tenir les limites de la véranda. La troisième, rangée en bon ordre, comme dans uen photo de classe était la plus nombreuse et augmentait à bonne vitesse — elle était jaune.
Mois : août 2009
Dans Après-midi d’un écrivain Peter Handke écrit: “Mais “oeuvre” voulait dire quoi? Une oeuvre c’était quelque chose, pensait-il, où le matériau n’était presque rien et la disposition presque tout; quelque chose qui au repos restait en mouvement, sans rien pour la faire tourner, où tous les éléments se maintenaient eux-mêmes en supens; qui était ouverte, accessible à chacun et inusable.”
Voies secondaires
Maman, F. allaient aux dix ans d’Aplo et j’allais seul, nulle part, lancé deux heures de suite sur l’autoroute Lausanne-Genève bondée même le samedi. De retour à Lhôpital, je me suis dit “il faut manger”, parce que je redoutais de commencer les corrections des Voies secondaires, cette crainte bien connue : tomber sur une phrase si mauvaise qu’elle m’enlèverait tout désir de continuer et me ferait jeter le manuscrit aux orties. Le travail de juillet perdu. D’autant plus ennuyeux qu j’ai déjà sollicité l’éditeur (par une carte postale qui montre dans le Gers une maison identique aux Cornières). Puis j’ai mangé au jardin quatre pommes de terres déterrées hier par Crausaz dans son champ de Fribourg et un Gruyère. Autour du presbytère j’entendais tourner le voisin et son fils, le petit. J’ai fait celui qui n’entend pas jusqu’au moment où c’est lui qui a ouvert, qui a appelé. Je suis allé à sa rencontre. Comme d’habitude — sans que ce soit souvent — il venait marcher un peu dans le jardin en répétant “on va y aller” et me parlait d’une colonne de fourmis dans sa cuisine, pur laquelle j’indiquais des quartiers de citrons moisis — ça leur barre la route. Ensuite je me suis remis aux corrections, ne comprenant pas toujours ce que j’avais écrit trois semaines plus tôt. Et cependant, à Genève, entouré de la famille, Aplo devait déballer ses cadeaux.
Cette femme se plaint que son mari la laisse seule le jour, ne sait pas l’amuser, l’occuper. Pourtant, elle l’aime. Etrange. A quoi rime cette dépendance? Eve au jardin est déjà dite dépendante, “tirée d’une côte d’Adam”. C’est le scribe, masculin, qui donne son point de vue. Est-ce à dire que la femme qui demande aujourd’hui à être amusée s’est rangée à ce point de vue?
Ces jours je me désintéresse. Aucune habitude, peu d’envies, pas de grâce. L’énergie même est en recul. Ce que je pourrais faire, je ne le fais pas. Ennui qui s’étend à l’entourage, le grise, le contamine. Entendre Gala me demander ce que j’ai fait est pénible. Répondre est pénible. Pas envie. Peut-être suis-je ratrappé par les années de dépense? Trop de fatigue en réserve et qui soudain me tombe dessus, me met à terre? Je reste debout pour écrire et et qund je me couche, je trouve enfin ce que je cherchais — l’intérêt dans le sommeil.
Une tasse de café à la main je me promène dans le jardin. A l’horizon les Alpes ce matin sont invisibles, il y a du soleil sur la pente qui mène au Rhône, la maison est solitaire. Auparavant, assis sous le poirier, concentré sur le petit-déjeuner, je ne voyais pas. Ce qui est vaste profite à l’esprit, s’il ne vous appartient pas. Un vaste jardin est une erreur. Plus les choses que nous possédons sont éloignées du corps, plus elles nous décentrent. La chemise et le pantalon sont des propriétés certaines, un jardin, un terrain, c’est lointain. Mais je n’oublie pas que j’ai acheté ce vaste jardin pour écarter les autes. Pas d’homme qui y vienne, pas de bruits, pas de ville, pas de mécanique. Et toute la vallée participe à ce sentiment de séparation. le Jura aussi, penché sur la maison, vert, noir et puissant. Se trouver seul. Etre seul pour se trouver. Encore faut-il espérer que la rencontre comblera l’attente. Incertain, on se tourne vers le jardin, on y fait une promenade sa tasse de café à la main, on se rapproche de ceux qui y vivent, les plantes, les oiseaux, l’herbe.
Au-dessus de l’Herpouilly, dans un chalet couleur de miel, il y a trois dames, trois bienfaitrices qui discutent un menu de fête, énoncent des plats fabuleux, tandis que je tremble de froid rincé dans la montée par une pluie d’octobre. Je tremble si fort que mes mains qui portent le thé à mes lèvres le font déborder. A la table du patron les femmes notent la troisième entrée: sauté de biche avec sa casoelette de chou braisé.
Repris pour la cinquième année L’été de Btorlgue, texte que je veux dérisoire et même comique . Eh bien il me pèse. J’ai de la peine. C’est un mur. Et quand je dis reprendre, c’est trop: il me suffirait de corriger. Je n’y arrive pas. Est-ce parce que la matière a été tant de fois brassée? Cet après-midi, le front en sueur, j’ai abandonné. Le voir achevé me plairait. Au tiroir s’il le faut mais achevé. C’est peut-être le problème. Il est derrière moi. Cinq ans… Pourtant, on ne peut décider de façon sûre qu’il ne trouverait pas son lecteur. En même temps j’ accorde “qu’on peut en dire en principe qu’un texte écrit avec enthousiasme communiquera au lecteur quelque chose de cet enthousisame.”