Hier, D. poignardé en plein coeur de Genève. Il était vingt-deux heures. Il erre sur deux kilomètres, perd la moitié de son sang. Personne ne lui vient en aide. Il doit la vie au fait d’avoir joint sa copine au téléphone. Elle a appelé l’ambulance qui l’a trouvé sans connaissance placd Bel-Air.
Mois : avril 2009
En 1985 à Mexico, une soirée comme souvent le samedi, dans une villa somptueuse. Il est tard, nous roulons sur les canapés. Le portail s’ouvre, un invité traverse le jardin. Le maître d’hôtel de Belardo annonce:
- Monsieur, c’est votre ami, celui qui est mort sur la route de Zihuatanejo.
Toldo m’explique que je ne dois pas faire allusion à l’accident. Il y a deux ans l’ami en question a mangé du peyotl et a pris la route pour gagner le Guatemala. Il n’y est jamais parvenu. Depuis il essaie toutes les nuits de regagner son pays. Parfois, il rend visite Toldo.
En effet le gars entre dans la salon.
Aplo exerce sur le chien de la ferme voisine une telle fascination que la bête, dès sept heures le matin et par moins dix degrés piaffe dans la neige. Cet après-midi, alors que nous faisions l’ascension du Brichou, qu’il coure, saute, je lui fais remarquer la vue.
- Oui, mais moi j’aimerais être avec le chien.
Le magasin a été vendu avec son arrière-cour. Après vérification, il contenait un immeuble moderne dans le style des années cinquante et un carnotzet vaudois. Benoit, ravi de cette vente, reçoit les félicitations de la municipalité. Au premier rang on voit le maire et le directeur des travaux. Le discours ne fait pas de doute: tout sera démoli, un fast-food sera construit. Dégoûté je bouscule les personnes de l’audience et sors. Dans la rue m’attendent mon frère et sept filles. Elles sont peu discernables, toutes jeunes. Je reconnais une cousine, une employée, une amante. Mais les prénoms m’échappent. Ensemble nous assistons au concert de Slipknot. Les portes viennent d’ouvrir, c’est encore le soundcheck. Attitude violente, boucan. J’espère avoir bien cadenassé on vélo (le jaune.) Après réflexion, je suis rassuré. Ainsi je peux boire. Et je bois en toute tranquillité, quand soudain, quelque chose dans ma main: le cadenas. Les musiciens profitent de mon désarroi pour inonder le sol à grands baquets. “Pour éteindre la fumée des cigarettes et protéger nos voix”, expliquent-ils. D’ailleurs ils ont besoin de moi. Me voici sur scène. Nous jouons un morceau, de la variété. De retour au bar l’organisation vient à moi, elle me reproche mon jeu de guitare. Je m’excuse: mon vélo a été volé. A l’extérieur de la salle, j’insulte les marchands-clochards qui ont mis mon vélo en piéces et le vendent à la criée. Comment a‑t-il pu être dépecé aussi vite? Le cadre et le guidon sous le bras je me rends chez un marchand-squatter, peut-être le chef des voleurs. Affable, il me fait traverser son appartement. Dans un lit dort un amant, plus loin dans une pièce rose un bébé, il le prend dans ses bras. Puis une femme, plusieurs femmes et dans la cave — une merveilleuse cave qui fait aquarium et permet d’observer les fonds du Léman — mes enfants. Mais je m’impatiente: je suis venu pour le vélo. Au moment où mon fils comprend que je vais l’abndonner, il crie et m’appelle. Quelqu’un dit: “il faut qu’il s’habitue à ce genre de choses.” Dans la rue (vélo pas réparé) les sept filles affrontent dans un battel de skate une tribu ennemie. Je demande une planche. Ma cousine me répond: “J’ai pour principe de ne rien offrir, jamais.” De retour dans l’appartement du marchand-squatter, je cherche l’escalier qui conduit à la cave. Aux WC je me fais dessus.
Cette marche est belle, la neige est belle, dit G. parce qu’on pourrait mourir. Eh non! Cette marche est belle parce qu’elle est belle. Sans cesse je pense à ce qui lui succédera, de sorte que je m’efforce de revenir au présent, de n’être pas happé, de regarder la neige, les sapins, les pics et de les tenir dans le moment pour ce qu’il sont, de la belle neige, de beaux sapins, de beaux pics.
Couché avec trois hommes et deux femmes, nus avec leur offre sexuelle. Les femmes sont des amies de dix ans dégradées par la chair, les enfants, la résignation. Elles ne lèvent rien en moi sinon le souvenir de prénoms vagues. Les hommes sont des arabes. Faibles, ils vont subrepticement: une main par çi, un sourire par là. Je quitte le couchage, le salon, je m’en vais. J’ai ma tente qu’il me faudra piquer dehors par un froid mordant. D’ailleurs la police rôde. La maison est vaste et je pourrais me cacher dans une de ses pièces, mais mon problème se pose ainsi: “Est-ce honnête? est-il honnête de tirer profit de ceux qu’on a rejeté?”