Le riche est attaqué, le pauvre fragile. Quant à l’homme moyen, le riche le méprise, le pauvre le demande.
Mois : avril 2009
Un ravissement s’installe lorsqu’on écrit dans les justes dipositions. Encore faut-il en bénéficier. La vie courante empêche. On lutte. On aboutit parfois, et alors on commence à écrire. Puis on arrête, la vie courante vous terrasse, et on lutte encore. Autour de moi j’ai des exemples d’écrivains dégagés des contingences. L’argent est disponible. N’ayant pas à travailler, ils auront toujours une étape d’avance. Leur domaine de lutte est l’écriture. Le peu d’expérience que j’ai du ravissement me fait sentir comment on glisse de celui-ci au talent, au génie peut-être. Mais à voir les regards de M.L., je vois qu’on glisse aussi dans la folie.
Hauteluce, Savoie. Au village un kiosque. On y trouve la presse, des piolets, des chaussures, des tableaux de laine. La satisfaction de trouver Le Monde ici est aussi grande que si je le trouvais au souk d’Irbil. Du reste, j’ai honte de n’acheter que ça. Pire, si Le Monde n’était pas disponible, je m’en irais les mains vides. La dame encaisse. Elle parle de la neige, des vacances qui viennent de finir — les enfants, G. et moi sommes les seuls touristes du village — elle en parle avec la même attitude aimable qu’il y a deux ans, une attitude qui arrête le temps. Jeune et sereine, elle donne l’impression de n’avoir pas quitté le kiosque depuis deux ans (comment sait-elle pour la neige?) Et ces journaux, comment arrivent-ils dans le kiosque? Ils arrivent aujourd’hui et le lendemain, invendus, repartent. Que dire alors des chaussures, des tableaux de laine? Le kiosque est sur la route principale, mais elle est principale parce que c’est la seule.
La vente de l’exotisme par les agences de voyage assortie des shémas circulatoires de la mondialisation annulent la possibilité de rencontrer l’étranger. L’étranger n’a jamais été aussi étrange. Dans le pays où l’on voyage, il est en coulisse, inaccessible, dans le pays où l’on vit, au premier plan, inassimilable.
Quoiqu’on trouve à dire de sa fausse sincérité, Julien Green dans les volumes de son journal fait forte impression. On dirait qu’il vit dans un autre monde (Paris.) Léautaud est acerbe, Gide intellectuel, Saint-Exupéry hermétique. Green est bourgeois. Les bûches brûlent dans l’âtre. Cela semble ridicule parce que depuis quelques années, qui vise le statut d’écrivain, se croit forcé de pousser des cris d’orfraie pour attirer sur lui les regards. L’intimité sulfureuse dont ces énervés se dotent n’est qu’un remède à la banalité réelle de leur vie.
Gentillesse de cette femme, logée en cabine, sur la montagne, à l’arrivée du télésiège et qui a chacun de nos passages, agite la main pour les enfants. Nous montons et remontons, à chaque fois elle trouve de nouvelles ingéniosités pour demeurer dans la gentillesse. Comme j’annonce que nous ne viendrons peut-être pas skier le lendemain, Aplo insiste pour l’embrasser. J’essuie sa bouche, il saute du télésiège et se précipite vers la cabine.