Occupé à mastiquer les interstices du parquet je fais tourner une suite de musiques baroques. A ce que je crois. Au bout de dix minutes cette réflexion: l’oreille est déformée, j’entends la même chose là où les différences sont subtiles. Volontaire je prête une attention renouvellée. Le début, l’envolée des orgues, … non, décidèment je vois mal la différence avec la pièce précédente. Pour cause, le lecteur tourne en boucle, j’ai écrouté six fois la même pièce.
Mois : avril 2009
Hommes en bleu qui se saoulent dans la chambre froide de la boucherie de Coupy tandis que je commande de la côtelette à l’employé. Le téléphone sonne.
- Patron, ta femme!
Cela ne suffit pas à le faire venir. L’employé s’excuse, dépose le couteau, va. Le patron vient au combiné, s’énerve, bidouille la prise.
- Cette saloperie ne veut pas fonctionner!
L’employé pose encore le couteau, enfonce la prise:
- Là… essaie!
“Quoi, s’écrie le patron au téléphone, et tu m’appelles pour ça…!“
Il raccroche, retourne dans la viande, avec les copains.
L’employé qui finit de trancher la côtelette:
- Avec ça?
A Strasbourg où Didadactures est lue par une troupe du théâtre municipal, la metteur en scène, à l’heure du débat ‚déclare le texte superficiel. Je dis “oui”. Elle tient pour un défaut une volonté. Ce qui la chagrine c’est l’absence de message. On est faibles avec les idiots. L’étant moins j’aurais pu l’adresser au parti communiste.
Que la société ne trouve pas d’utilité à ses écrivains, c’est avéré: elle en fait des pantins ou des marchands de livres. Aucune importance. Que l’écrivain trouve une utilité à être écrivain suffit. Le pathétique c’est quand l’écrivain se juge inutile parce qu’il n’est pas un bon pantin ou un bon marchand de livres.
Sur le parking d’un supermarché de Ferney un clochard aide les automobilistes à se garer.
- Merde.
D’ailleurs il n’y a pas de place.
Tout de même j’en trouve une. On me collera une amende. Au clochard:
- Casse pas ma voiture.
Je m’en vais.
Chez Telecom on me dit “qu’il y a vingt minutes d’attente.” Vingt minutes plus tard: “que la compagnie ne peut rien faire si la ligne pour laquelle je paie ne fonctionne pas”, “que la compagnie ne peut pas m’appeler sur mon téléphone portable: c’est interdit par la compagnie”, “qu’il ne faut pas que je m’énerve”, “que je ne peux pas rappeler la compagie de téléphone parce qu’elle ne répond pas au téléphone.“
Je sors.
Au fond de ma poche je récupère la ferraille: pièce de 2, de 5, de 10, de 20, cherche le clochard — il s’est déplacé — et lui donne toute la poignée de pièces. Il a vingt ans, regarde dans le creux de sa main, hésite à accepter.
- Qui a enduit la façade?
- Pas moi, répond le gars qui maçonne le seuil de l’église, je suis bénévole.
- Ah.
- Oui, et je demande 15 euros l’heure si ça peut vous intéresser.
- Pourquoi pas? Votre nom?
- Duparc. Je ne bois pas, je ne fume pas et je n’ai pas de portable.
Le type à les yeux bouffis d’alcool, le cheveu fourché et rare, une dégaine à ventre.