Piedralma

Après une courte péré­gri­na­tion chez les admin­is­tra­teurs de Puente (soit banque dite “dig­ilosofía” c’est à dire ana­logi­co-ter­restre-klep­to­crate, sécu­rité sociale alen­tie et officine de poste épi­cière, tout trucs qui font suer), j’ar­rive dans la val­lée. Route coupée. Elle est sig­nalée inter­dite. Je déplace la bar­rière de la Garde Civile, roule sur le cail­lou, passe le morceau de voie effon­dré, déplace une autre bar­rière, vais seul. Travaux du jour, dégager la source d’eau potable. Le puits est en forêt à 200 mètres, mais pour l’at­tein­dre il faut pénétr­er dans la brous­saille, sci­er et net­toy­er. Ensuite, j’ai l’in­ten­tion de labour­er mon coin à patates. A six heures ce matin, il fai­sait encore orage. Le pre­mier soleil ne résout pas mon prob­lème: sur les berges de l’Ara l’herbe est ten­dre, elle patine, on s’y embourbe. Je laisse le van sur la route. Près de la riv­ière, dans une coupe som­bre, je trou­ve des kayak­istes français. Assis devant leurs camp­ing-cars, ils étu­di­ent les débits. Je les ras­sure quant à mon uni­forme mil­i­taire, nous dis­cu­tons. La veille, dis­ent-ils, le gorge était pleine, tout juste s’ils sont passés. Hec­tolitres à la sec­onde, syphons, coulée, j’y com­prends que dalle. “Ah! Vous allez sur le pont?”. Inqui­ets, ils m’ac­com­pa­g­nent. Je mon­tre mes bottes. Ils ne sont pas con­va­in­cus. J’en­tre dans l’eau. D’abord sans les sacs (bière et out­ils), affaire de tester. Quelques mètres et je ne peux plus ressor­tir le pied de l’eau sans bas­culer. Le courant est trop fort. Comme je ne peux appel­er Evola (zone blanche), je dois m’en retourn­er. Cent kilo­mètres roulés pour rien. Désœu­vrés, les Français m’ac­com­pa­g­nent. Arrêt du van, je déplace la pre­mière bar­rière. “Ah, on peut? Si la Garde Civile…”. “On peut, dis-je aux Français. Mais par­ler la langue, ça aide…”.

Ordre

Pas d’in­ven­tion spec­tac­u­laire sans con­di­tion intime — il faut réap­pren­dre l’ennui.

Éculé

Le comité de pilotage de l’U­nion Européenne compte sur les prochaines élec­tions au par­lement pour légitimer sa dictature.

Contemporain

Quand le réel est pro­duit par les gens de ciné­ma, le ciné­ma peine à divertir.

Maison

La qual­ité de vie tient en par­tie à la qual­ité de cir­cu­la­tion dans le lieu de vie. Tout doit être à portée de main, rien ne doit faire obsta­cle. Le lit, le canapé et le bureau sont les élé­ments essentiels.

Art

La qual­ité musi­cale de la phrase, quand bien même elle porterait peu de sens, exerce à la morale par l’esthétique.

Préventives

Se méfi­er des groupes quand on a un esprit; des par­tis quand on a un car­ac­tère; des foules quand on a un corps; des églis­es quand on a une âme.

Souris

Elles gam­badent sur la pente du talus, mon­tent dans la car­a­vane, envahissent Evola. Il a dis­posé des pièges. Cer­taines sont attrapées, d’autres volent le fro­mage. A la fin du siè­cle dernier, dans la mai­son de Gim­brède, lorsqu’une souris filait entre mes pieds, je jurais de la cap­tur­er. Bien­tôt la chas­se tour­nait court et je me répandais en hypothès­es devant un angle de mur impéné­tra­ble où elle avait pénétré. “J’en ai une qui s’est coincé der­rière le fau­teuil, dit Evola, je l’ai sor­tie avec des pincettes”. Et le faux-pla­fond? Car il me revient qu’à l’époque de la ferme de famille, elles trot­taient au-dessus de mon lit et que je m’a­gaçais à en per­dre le sommeil.

Chat

Les bouteilles de bière dans le dos, des pro­vi­sions con­tre la poitrine, je fran­chis la riv­ière chaussé de bottes en con­tour­nant les creux de courant. En haut du chemin de l’A­ma­zonie, j’aperçois Evola. Adossé au por­tail de Piedral­ma, il tient en laisse un chat. La bête m’aperçoit, bon­dit, retombe sur le ven­tre. Evola veut la con­trôler. La bête fait des bruits et griffe le ciel. C’est un chat jeune, blanc et noir. Je pose mes sacs. Le chat devient fou. Il se glisse sous la clô­ture côté forêt, se con­tor­sionne dans ses attach­es et se libère. Il a filé. Désolé, Evola mon­tre la laisse vide. Je vois alors qu’il porte des gants de cuir. “Trois jours que ce chat me fait la gueule! D’habi­tude, je m’en­tends bien. Dés que les filles me l’ont déposé, il s’est caché der­rière le poêle. J’es­sayais de le balad­er pour qu’il décou­vre le ter­rain… Il ne revien­dra pas. Tu crois qu’il reviendra?”.

Amérique 2

Ajoutant des dates, encore des dates à sa tournée d’adieu, l’empire finis­sant promène sa car­i­ca­ture à tra­vers le monde. Occa­sion pour nos vas­saux naïfs ou cor­rom­pus d’Eu­rope de se recon­naître enfin dans ce qu’ils ne sont pas (l’at­taque con­tre la vieille civil­i­sa­tion ayant aupar­a­vant tou­jours été sac­ri­fiée à l’in­térêt matériel).