Physiques

Les vis­ages d’une époque, leur type, leurs traits, on ne peut les recon­naître d’une époque que lorsque celle-ci est révolue, qu’il n’ex­iste plus que des traces de ces visages. 

Comprendre

Qu’a force de gou­vern­er sans rap­port au réel pour favoris­er les seules ambi­tions par­ti­c­ulières, le cumul des erreurs affole la machine et la rend incontrôlable.

Littérature

Quelle serait la récep­tion d’un livre à l’his­toire banale dont une phrase sur trois ou une phrase sur cinq — con­for­mé­ment à la néces­sité de con­serv­er le sens directeur — n’au­rait pas de sens (tout en étant écrite dans une langue irréprochable)?

Paralchimie

Essai pas­sion­nant quoique par­fois incom­préhen­si­ble de Jean Roudaut sur Pinget (Le vieil homme et l’en­fant). L’au­teur aime les litotes et les ellipses ou peut-être est-ce mon inin­tel­li­gence devant une finesse de pro­pos qui exige plus que de la cul­ture de l’éru­di­tion. N’en demeure, les rap­ports cri­tiques qu’il établit entre les œuvres jus­ti­fient l’ef­fort de lec­ture. Puis il y a la glo­ri­fi­ca­tion de la langue. Cet absolu de l’art lit­téraire dont on sent que l’es­say­iste a la reli­gion et qui nous rap­pelle que nous exis­tions ain­si, par le tra­vail des mots, avant de suc­comber au régime des images. 

Traversée

Le vide. Encore et encore. Surtout à par­tir de Valde­peñas, lorsque le plateau de la Manche prend des airs de socle sableux. Il y a bien des collines, mais elles sem­blent sus­pendues aux nuages telles des cloches dans le loin­tain juste pour créer un fond de décor. Le vide, à la lim­ite le néant car ce que l’on voit, on le voit et on le revoit tant le paysage est con­stant dans ses appari­tions. Je ne peux dire à quel point cela m’en­t­hou­si­asme. Une res­pi­ra­tion. Un lieu où l’e­sprit peut vol­er, vire­volter, devenir. La Suisse a un poids. Un poids ter­ri­ble. Tout y est ver­ti­cal, arcbouté sous le ciel, épais et ombreux. Un poids de fatigue. Je n’aime pas con­duire, mais il y a un cer­tain plaisir à cir­culer dans le vide. A quinze heures, je suis à Esquiv­ias, vil­lage du pour­tour de Madrid, province de Tolède. L’hô­tel sur­plombe un gira­toire qui évoque une empreinte d’O.V.N.I. En con­tre­bas, au bout d’un kilo­mètre de terre dure, des séries de vil­las silen­cieuses, une usine en démo­li­tion, une prom­e­nade de trois réver­bères. Il fait déjà nuit lorsque je m’y hasarde. Les mamans dis­cu­tent devant les pous­settes, un ouvri­er me salue comme si nous étions cama­rades. A l’épicerie, je demande un sachet pour emporter la bouteille de bière. La vendeuse l’air hon­teux : “ils sont payants.”. Mon lit mesure 2,10 de large; c’est dire la taille de la cham­bre. Le lende­main, passé le périphérique M50, à nou­veau le vide, couleur rouge et or cette fois, dans les val­lées de Calatayud. J’at­teins Agrabuey en fin d’après-midi, la neige com­mence de tomber. 

Journal d’Inconsistance

“Ce n’est peut-être pas le tal­ent qui fait l’écrivain, mais le refus d’ac­cepter la langue et les idées toutes faites. Je crois qu’au début, on est tout sim­ple­ment bête, plus bête que ceux qui n’ont pas de mal à com­pren­dre. Alors on se met à écrire comme pour se rétablir d’une grave mal­adie, pour maîtris­er sa folie — ne serait-ce que le temps de l’écri­t­ure.” Imre Kertész, Jour­nal de Galère. 

Le monde d’hier

Retour à la bien-aimée, film de 1979 avec Isabelle Hup­pert, Jacques Dutronc, Bruno Ganz. La gare SNCF a une porte que l’on peut ouvrir et fer­mer, le salon où se déroule le drame un tourne-disque et son amplifi­ca­teur. Dutronc, l’ex-mari pianiste demande à Ganz le mari médecin: “com­bi­en de dis­ques avez-vous?” Lequel répond: “Trois cent? Je ne sais pas”. 

57

Après l’hôpi­tal, mon anniver­saire. Le matin, Gala est chez l’esthéti­ci­enne, je déje­une sur le bal­con, j’ai mon café, mon pain à la tomate, la plage est jaune, l’eau ourlée fait enten­dre son ressac. Je pars à pied en direc­tion de Bena­gal­bón. La carte indique un park­ing de car­a­vanes à quelques rues, mais la semaine dernière je n’ai pas trou­vé; pour cause il est à cinq kilo­mètres, dans les hau­teurs, au milieu des palmiers pous­siéreux et des per­ro­quets qui n’ont pas volé vers le Maroc. Entre chaos et vil­las, le lieu est séduisant. Sans forme ni car­ac­tère, oublié. Je longe le lit sec d’un ruis­seau, me ren­seigne auprès du récep­tion­niste. Décem­bre et jan­vi­er sont les mois les plus demandés, me dit l’é­tu­di­ant, et il n’y a que vingt places. Il est onze heures, les Hol­landais, les Alle­mands bronzent sur des pli­ants, les cabots sur la nat­te. Pas l’aven­ture. Alen­tour l’at­mo­sphère rap­pelle les périphéries de villes de Java, ce côté désor­dre enchan­té, mais sur le park­ing cela sent l’or­dre et la petitesse. De retour à Rincón, je repère les quartiers neufs, encore en chantier, il y a assez de place dans les rues sec­ondaires pour gar­er la camion­nette et pass­er la nuit quand je rendrai vis­ite à mon père au début de l’an­née prochaine. Tant pis pour la douche et les toi­lettes. Gala m’at­tend à l’hô­tel, nous mon­tons dans un taxi, man­geons sur le port de la Cala, revenons en bus par les collines, allons à la sieste, puis sur la ter­rasse, chez le Chi­nois (pour la bière). En fin de journée, j’achète mon cadeau par inter­net, offert par Gala, Shen­zou de Bios­phere ver­sion six vinyles. 

Tour 2 (suite)

Et les mil­i­tants de la nature, si longtemps méprisés par le marché, soudain appelés sur scène, qui se pré­cip­i­tent, se met­tent au service.

Tour 2

L’é­colo­gie util­isée comme moyen de ter­reur pour bal­ay­er les ves­tiges de la démoc­ra­tie, le principe est inouï. Si j’é­tais anti­sémite, je dirais: ces Juifs sont extraordinaires!