L’islam est compatible avec le capitalisme, donc adoubé, car ce n’est pas une religion, mais un principe d’organisation des masses, un ordre.
Dolores
Quand meurt une star, elle meurt. Les circonstances sont rapportées plus tard, une fois l’affaire éventée. Est-ce pour des raisons commerciales, pour que les capitaux investis sur le nom continuent de rapporter? Ou simplement pour cacher à la jeunesse les coulisses du parcours auquel sont contraints ces professionnels (O’Riordan, Ullrich, Avicii) transformés par les multinationales en objet spéculatif, souffrance qu’ils endurent en versant dans l’excès chimique et auquel, à l’occasion, ils succombent?
Agneau
Dans la salle communale, autour de longues tables, nous mangeons avec cinquante villageois le “cordero a la pastora”, l’agneau que tue le berger avant de descendre de l’alpage, morceaux comme tronçonnés — plat sans apprêt, impossible à présenter en restaurant — puis bouillis en marmite avec des pommes de terre. Chacun apporte son assiette, le vin est partagé, de même que les desserts, gâteaux de noix, beignets, pêches alcoolisées. Gala monte chercher une bouteille. Je lui fais prendre la meilleure. Elle est de la même cave que celle que j’ai apportée en mai pendant les journées de cueillette des champignons. Ce jour-là, le vin était passé. Je m’en excusais. Voilà qui se reproduit. Pourtant, la veille, Gala et moi avons ouvert une bouteille de la même étiquette. Je venais de lui raconter l’incident, mais non, le vin était excellent. Aussi me vois-je condamné à rapporter les mêmes circonstances qu’au mois de mai, l’air contrit, ne sachant si l’on me croira pour la deuxième fois: “j’ai pris ce vin à Barabastro, l’été il est resté dans le salon, oui, il y fait chaud, non il n’était pas au soleil…” Et chacun de se passer le verre, de juger le rouge excellent, mais un peu tourné — décidément!
Eté
Au dernier jour d’août, le soleil s’est retiré, la température, chaude et lumineuse depuis six semaines, a baissé. Comme nous passions d’un mois à l’autre, ce changement inquiétait: que la nature s’aligne brusquement sur le calendrier, voilà ce qui inquiétait. Hasard, mais au village, les habitants scrutaient le ciel, constatant : c’est l’automne. Le lendemain et le jour d’après, dans les conversations de rue, chacun annonçait le retour de l’été. Il a plu. Quelques gouttes après des heures de tonnerre et de grisaille. Le soleil n’est pas revenu. Il passe au-dessus de la vallée. S’en va. A l’instant, les cloches de la chapelle ont sonné. Trois pétards ont éclaté. Ainsi démarre la fête de Santa Cilia. En soirée, les habitants iront au bar, à dix heures tout le monde s’acheminera vers la salle communale pour manger du mouton. Ensuite, si je comprends bien, l’été est fini, tout est silence jusqu’à Noël.
Village
Ce soir, vendredi, entre voisins. Les portes de maisons s’ouvrent, un petit air circule, les gens sortent dans la rue, vont sur la place. Paco vernit ses cadres de fenêtres; Alejandro revient de la plaine où “il y avait trop de vent pour s’asseoir sur une terrasse de bistrot” et la Famélique (une fille de trente ans, qui ne parle, ne vous toise ni ne mange, par ailleurs belle, un profil de Sainte — on la connaîtra quand elle sera morte) s’intéresse à l’élevage des courgettes. Nous allons vers le bar. Plutôt que de rester au comptoir où l’on cause vaches et modèles de voitures tout en lorgnant sur le programme de télévision de la chaîne “Alto-Aragon”, je rejoins les jeunes dehors. Alejandro me montre un clip vidéo de son groupe tourné à Saragosse, titres hard entre Lynyrd Skynyrd et AC/DC. Sa femme, géologue, enseignante, évoque Total, les pétroliers de France, qui ont mis sous tutelle son département d’Université cependant que l’ouvrier chargé des chèvres, après une journée à s’occuper de chèvres, dit: “On est vendredi, c’est pas trop tôt!”.