Des centaines de mûrier ont fleuri autour du village, ils dégringolent de l’église, ornent les berges de la rivière, gonflent le long des prés.
Livres
A rechercher les livres souterrains de la littérature politique, particulièrement ceux de ces contestataires qui dénonçaient avant l’heure les dérives de l’ingénierie sociale, on s’aperçoit qu’ils ont été interdits aussitôt publiés par les gouvernements de tous bords et, sans surprise, qu’il demeurent difficiles à trouver.
Sports
Le vendeur du magasin de sports s’intéresse aux champignons. Sur la table de montage, dans l’atelier, près de la caisse enregistreuse, des champignons. Comme j’essaie les chaussures de ski, il trie sa dernière cueillette. Hier, j’entre pour payer mes peaux de phoque. Il me montre deux gros spécimens:
-Ceux-là, je vais les mettre à refroidir pour les étudier tranquillement.
Privé-public
Comme je regardais hier Death race: beyond anarchy, ou tentais de le faire, car malgré ma résignation heureuse à ce choix d’un film pour idiots, je ne résistais pas plus de dix minutes, je me demandais: à quelle fin tourne-t-on deux heures d’images qui ne sont que vulgarité, sang, violence, insultes et bêtise? L’argent, soit! Mais ce miroir tendu à ceux qui voudront bien s’y reconnaître ne comporte-t-il pas une facture sociale qui dépasse de loin la recette du film?
Huesca
Promenade nonchalante dans Huesca, cette petite capitale du haut-Aragon. Et comment s’y promènerait-on sinon avec nonchalance? La rue piétonne en demi-lune qui borde la ville par le Nord est si paisible qu’on croit retrouver les années 1980. Terrasses où sommeillent des buveurs habillées de sages chemises, épiciers sur le pas de commerce, bandes d’enfants autour des bancs de bois tandis que d’autres tracent des cercles sur des vélos, tout concourt à tenir à bonne distance la frénésie économique qui s’est emparée de nos société à la fin du siècle dernier.
Fauses nouvelles
Qu’est-ce qui prouve vraie une nouvelle établissant qu’une autre nouvelle est fausse? Soupçonner c’est d’abord être soupçonné. Au moment de fabriquer cette forme intelligente de propagande, les grands quotidiens qui se vengent ainsi de l’usurpation de leurs prérogatives par un internet de la publication en plein essor eussent dû penser au problème de la circularité logique.
Ramon
Gala se tient au bas de la rue, près de la fontaine. Elle m’appelle. Un voisin l’accompagne. A travers la moustiquaire, je peine à reconnaître la silhouette. Je sors. Elle me présente Ramon. L’homme a une grosse tête, des épaules carrées, il tient un bâton, arrive de la rivière, parle à force voix et sans arrêt. Je veux remonter à la maison, il m’en empêche: il faut venir. D’ailleurs, il entraîne Gala. Je m’excuse: nous venons d’apporter de la glace du supermarché, elle va fondre… Le temps de tourner les talons, Gala a disparu. J’entends sa voix. Elle appelle. Très vite, je range la glace et reviens dans la rue. Puis dans une autre. Derrière un mur, j’entends “mais où est-il?”. C’est Gala, elle me cherche. La voici! Ramon la pousse à travers une porte. Je suis. Il nous montre ses meubles, son escalier, sa table, son porte-manteau. “Fait en une matinée”, dit-il. Et cette malle, “en deux heures”. Et ça, “en quelques minutes!”. Il rit: “non, mais non, ce n’est rien. Avec une toupie et des planches de cinq, un montant ou deux. Là, tiens, regarde cette étagère, alors? Trois quarts d’heure !”. Puis, traversant une chambre à coucher: “je sais, vous êtes venus pour les peintures!” Du coin de l’œil, j’interroge Gala. Ramon me met un panneau dans les bras.
-Ma femme, toujours ma femme! Merveilleux, non? Et médiéval! Elle a gagné le premier prix Jacques de Compostelle! Ce ne sont que des répliques originales. Combien vous m’en donnez? Elle ne veut pas vendre! Bien sûr, elle s’en fout, ce qui l’intéresse, c’est peindre, et peindre. Là, voilà un ange. Il y en a partout! Des saints, des anges, et là, tout une frise! Gala, regarde ce panneaux! Je les prends à la décharge et ma femme en fait des merveilles. Dès que le panneau apparaît, c’est fini : elle a peint.” Et ainsi de suite, anecdote sur anecdote, ou plutôt, la même anecdote, peinture et meubles, meubles et peinture. J’essaie de parler. Ramon m’en empêche: il a tant de choses à dire. Au bout de dix minutes, nous sommes étourdis. Nous avons vus la chambre des enfants (“la porte ferme, comme ça ils ont un peu d’intimité, ils sont grands maintenant”), la mezzanine, le salon de télévision, la salle de bains et même les toilettes, en bois. Et quand, enfin, après moults tentatives, nous retrouvons la rue, Ramon fait: “ne bougez pas!”. Puis nous revient avec une photographie de sa femme.
-Est-ce qu’elle est belle? Elle l’est. Le portrait date de 1965. Quel âge avait-elle? Vingt-cinq ans…? Désormais, quand elle n’est pas là, j’accroche cette photo à côté de mon lit pour me souvenir. Tu verras Alexandre, c’est ce que tu feras quand Gala aura vieilli!”