Gala se tient au bas de la rue, près de la fontaine. Elle m’appelle. Un voisin l’accompagne. A travers la moustiquaire, je peine à reconnaître la silhouette. Je sors. Elle me présente Ramon. L’homme a une grosse tête, des épaules carrées, il tient un bâton, arrive de la rivière, parle à force voix et sans arrêt. Je veux remonter à la maison, il m’en empêche: il faut venir. D’ailleurs, il entraîne Gala. Je m’excuse: nous venons d’apporter de la glace du supermarché, elle va fondre… Le temps de tourner les talons, Gala a disparu. J’entends sa voix. Elle appelle. Très vite, je range la glace et reviens dans la rue. Puis dans une autre. Derrière un mur, j’entends “mais où est-il?”. C’est Gala, elle me cherche. La voici! Ramon la pousse à travers une porte. Je suis. Il nous montre ses meubles, son escalier, sa table, son porte-manteau. “Fait en une matinée”, dit-il. Et cette malle, “en deux heures”. Et ça, “en quelques minutes!”. Il rit: “non, mais non, ce n’est rien. Avec une toupie et des planches de cinq, un montant ou deux. Là, tiens, regarde cette étagère, alors? Trois quarts d’heure !”. Puis, traversant une chambre à coucher: “je sais, vous êtes venus pour les peintures!” Du coin de l’œil, j’interroge Gala. Ramon me met un panneau dans les bras.
-Ma femme, toujours ma femme! Merveilleux, non? Et médiéval! Elle a gagné le premier prix Jacques de Compostelle! Ce ne sont que des répliques originales. Combien vous m’en donnez? Elle ne veut pas vendre! Bien sûr, elle s’en fout, ce qui l’intéresse, c’est peindre, et peindre. Là, voilà un ange. Il y en a partout! Des saints, des anges, et là, tout une frise! Gala, regarde ce panneaux! Je les prends à la décharge et ma femme en fait des merveilles. Dès que le panneau apparaît, c’est fini : elle a peint.” Et ainsi de suite, anecdote sur anecdote, ou plutôt, la même anecdote, peinture et meubles, meubles et peinture. J’essaie de parler. Ramon m’en empêche: il a tant de choses à dire. Au bout de dix minutes, nous sommes étourdis. Nous avons vus la chambre des enfants (“la porte ferme, comme ça ils ont un peu d’intimité, ils sont grands maintenant”), la mezzanine, le salon de télévision, la salle de bains et même les toilettes, en bois. Et quand, enfin, après moults tentatives, nous retrouvons la rue, Ramon fait: “ne bougez pas!”. Puis nous revient avec une photographie de sa femme.
-Est-ce qu’elle est belle? Elle l’est. Le portrait date de 1965. Quel âge avait-elle? Vingt-cinq ans…? Désormais, quand elle n’est pas là, j’accroche cette photo à côté de mon lit pour me souvenir. Tu verras Alexandre, c’est ce que tu feras quand Gala aura vieilli!”