Palestra

La Palestra se trou­ve à l’ouest de Flo­rence, en direc­tion de la mer. Lun­di, j’y suis allé à pied sous la pluie. Seize kilo­mètres à tra­vers le dédale des rues. Mon sens de l’ori­en­ta­tion est excel­lent; mais ces temps, il ne fonc­tionne pas. Ou c’est la ville, his­torique, rem­plie de palais et de venelles, de pas­sages et de places demi-clos­es. Au cen­tre, il faut remon­ter les groupes de touristes, dans les sens inter­dits, faire l’ac­ro­bate entre les voitures. J’at­teins mon adresse, la rue Mon­tever­di, mouil­lé de sueur et de pluie. Dans la cage, un entraîne­ment de MMA, à l’en­trée de la salle en souter­rain, un roux à barbe qui me fixe d’un air las. Mon bil­let de 100 euros le ras­sure : je ne viens pas en curieux. Ce que je lui con­firme: je serai là tous les jours. Le lende­main, je veux pren­dre un bus. Avis à l’a­ma­teur que je suis: ne jamais se fier à une carte touris­tique. Pour­tant, con­traire­ment à ce que croit Gala qui me reproche d’im­pro­vis­er, j’ai fait le néces­saire: repérages des lignes de trans­port pub­lic sur le site offi­ciel de l’ATAF, report de l’ar­rêt et une croix à l’en­droit où il faut descen­dre. Résul­tat, je me tape les huit kilo­mètres à pied, fais mes deux heures d’en­traîne­ment avec un instruc­teur sym­pa­thique et incom­préhen­si­ble, trois mastodontes et deux filles, puis entre­prend de ren­tr­er, me perd, marche encore douze kilomètres.

Générateur de vocabulaire

Ter­mi­nalo­p­ithèque.

Rêve français

Voyez-vous, dis­ais-je en rêve, toute la cor­rup­tion de votre société vient de l’im­pos­si­bil­ité d’in­ter­préter juridique­ment la devise Liberté-égalité-fraternité.

Confidence

-Elle est jeune, char­mante, gra­cieuse, elle par­le plusieurs langues…
-Mais?
-Elle ne boit pas assez.

Fruit

Entre la pomme et la cac­a­houète, ce fruit rare et flo­rentin, le giuggiole.

Promotion du crime

Cra­vate étroite, sourire de télévi­sion, le prési­dent de France pose entre deux voy­ous noirs et nus. Seul agit ain­si un homme qui se juge intouch­able ou un homo­sex­uel sybarite. Rançon de cette atti­tude folle et pour le peu­ple humiliante, le fond est atteint — je peine à imag­in­er com­porte­ment plus vil.

Florence 2

Mari­na nous aver­tit: il y a des mous­tiques. La prox­im­ité du fleuve, n’est-ce pas? Mais on pense: ils m’é­pargneront. Vient la nuit. Puis un mous­tique. Je me ras­sure: ça ira! En effet, ça va. Ce n’est ni l’A­ma­zonie ni la Fin­lande des lacs, juste des bêtes fébriles égarées dans le dédale flo­rentin. Tout de même, après avoir été piqué une et deux fois, je retire mes tam­pons de cire, car à la dif­férence des spéci­mens tigres de Mala­ga, ces mous­tiques ital­iens sont sonores. Je guette mon attaquant. Il approche. Se pose. Je tape. Quand je m’en­dors, je me réveille: un autre. J’ai beau tapé, rien. Il dure. A force de réfléchir à la tra­jec­toire en fonc­tion du son, je com­prends que c’est autre chose, de beau­coup plus nuis­i­ble.
-Il y a un muezzin, dis-je le matin à Gala.
Elle rit.
-Qui chante.
Elle croit que je plaisante. J’ou­vre grand les fenêtres de notre cham­bre. En face de l’im­meu­ble, con­tre la bar­rière du square, des hommes un cageot fixé sur un vélo. Ils vendent des sand­wichs. D’autres vendent des godass­es à même le trot­toir.
-Et là, à la hau­teur de la voiture blanche, c’est une mosquée. Enfin un cen­tre cul­turel. Donc une mosquée.
A ce moment les cloches des églis­es se met­tent à son­ner et l’id­iot cul­turel du sous-sol, pour faire bonne mesure, recom­mence sa vocifération.

Florence

Emmé­nagé rue Bor­go Alle­gri, à deux pas du Dôme. Apparte­ment mod­este mais tra­ver­sant. Une cham­bre à couch­er lumineuse, un deux­ième lit en mez­za­nine. Sous l’escalier droit, le salon avec fau­teuil et canapé. Pre­mière chose, nous achetons de la bière et du vin. Après quoi je cherche un endroit où écrire. La table de la cui­sine, il fau­dra sans cesse débar­rass­er, le guéri­don de l’en­trée, trop bas… Gala repère une meu­ble laqué con­tre une paroi.
-Une table ça?
-Elle est pliée, aide-moi!
Nous déplions.
Ikéa j’imag­ine. Et jamais dépliée. Velue. Je mouille une éponge, déroule du papi­er ménage. Au bout d’une demi-heure, Gala:
-Là, ça va, viens boire l’apéri­tif!
-Ah non, je ne peux pas tra­vailler tan qu’il reste de la pous­sière.
Ensuite nous allons promen­er le long de l’Arno. A mesure que nous appro­chons du Vieux-Pont et du pont de Dante, le flot des touristes grossit. Gala, inquiète:
-Oui, évidem­ment…
-Je m’at­tendais à pire. Tu n’as pas vu Budapest!

Valise

Mon­tant dans le train pour l’I­tal­ie, je dis à Gala:
-Méfie-toi, ta valise ressem­ble à toutes les valis­es noires.
Sor­tie du train, en gare de Milan, comme Gala s’a­vance vers le com­par­ti­ment à bagage, la valise à dis­paru. Elle s’élance sur le quai, fend la foule, dis­paraît, revient bre­douille. Des agents approchent, un polici­er. Gala remonte dans le train, désigne la seule valise qui n’ait pas été réclamée (le train qui con­tin­ue sur Naples est bondé, com­ment peut-elle savoir que cette valise, noire comme la sienne, noire comme toutes les valis­es noires, est la valise de la per­son­ne qui a emporté sa valise noire?). Le con­trôleur descend le bagage. Sous le regard des agents, nous l’ou­vrons. Dans la poche extérieure, un con­trat d’embauche. Maria Espinosa Ramos Kugler. Femme de ménage.
-Zut, une Sud-Améri­caine! Tu n’est pas près de revoir ta valise!
-J’ai tous mes médica­ments!
-Tiens, un numéro de télé­phone.
J’énumère, Gala com­pose. La son­ner­ie reten­tit. Nous avons notre cor­re­spon­dance pour Flo­rence dans dix min­utes. Pas de réponse. Un des agents assure qu’il con­ver­ti­ra nos bil­lets, nous embar­quera dans la train suiv­ant. Gala refait le numéro. Elle ges­tic­ule et s’ex­clame, c’est bon, elle est en con­ver­sa­tion, marche le long du quai, lève les bras au ciel. Le polici­er avance une petite voiture, Gala monte, je cours, elle me crie: “Quai 6, une Péru­vi­enne!”. Arrivé là, per­son­ne. Je veux dire, mille, deux mille voyageurs, des nonnes, des Chi­nois, des Russ­es, des Scan­di­naves, des Andins, tout ce que la terre porte, à part des Aborigènes, des Inu­its et la Péru­vi­enne. Nous volons de valise en valise.
-Si elles se ressem­blent toutes, com­ment faire?
-Je la recon­naî­trais entre mille!
(C’est ça!).
Gala plonge. Six agents suiv­ent. Quand elle émerge, elle est dans les bras du polici­er et plaisante et roule sa valise. Nous sau­tons sur la petite voiture qui accélère. Les pié­tons giclent, on nous pousse dans un wag­on, le train pour Flo­rence démarre.

Soirée

Jouer quelques instants au riche. Je gare devant le qua­tre étoiles, le directeur de l’hô­tel (un ami boxeur) me reçoit, m’emmène sur la ter­rasse, presse deux bières. Nous par­lons des mois écoulés depuis ma dernière venue à Fri­bourg, six, de son voy­age en Bre­tagne, de mon instal­la­tion à Agrabuey, des gens que nous fréquen­tions il y a qua­tre ans lors du stage de com­bat à Venise, et qui se dis­persent, cer­tains par­tis sans laiss­er de nou­velle, ain­si du temps qui passe. Puis nous rejoint Mon­a­mi. D. avec qui j’ai tra­vail­lé sur des ques­tions d’af­fichage dans l’après-midi doit se ren­dre chez le psy­cho­logue (con­sul­ta­tions oblig­a­toires après qu’il a quit­té le poste de tra­vail qui ‘occu­pait depuis vint ans pour se met­tre en arrêt mal­adie). Main­tenant, je bois avec Mon­a­mi dans le haut-jardin du café du Belvédère, au-dessus de la Sarine, de la Mot­ta et de la Maigrauge. Lorsque reparaît D., il annonce:
-Je ne fais pas long.
A deux heures du matin, il est tou­jours là.