Fonctionnaires

Plus il y en a, moins il y a de lib­erté. L’ad­min­is­tra­tion ne doit pas être expro­priée, elle demeure dans l’individu.

Sidéral

Sans Dieu, et il n’en faut pas, l’homme n’a que son énergie native, c’est à dire, face aux obsta­cles du temps et de l’e­space, la per­spec­tive de s’étein­dre. Il pro­duit ain­si moins de lumière qu’il n’en pro­dui­sait à la sur­face de la terre quand il lev­ait les yeux vers le ciel, le dirigeait vers les grottes ou fer­mait les yeux. Il vit, en gaspillant son énergie, une apogée. Le cerveau panique. Et le corps. C’est bien. C’est juste. Des fac­teurs de vitesse et d’en­tropie. La lumière s’éteint. Preuve qu’elle a éclairé. L’homme ne vit que pour mourir. Tel est son human­ité, un héroïsme. Hélas, il y a encore sur l’é­corce hab­it­able de larges frac­tions de prim­i­tifs qui prient du bois.

Grünewald

Mon­frère don­nait la bas­ton­nade au Christ.
-Enfin, dis­ais-je, il a un prob­lème de cou­ple, c’est une affaire privée, laisse-le vivre!
Alors, pour pro­téger le Christ, je l’embrassais. Je le trou­vais car­i­cat­ur­al et sanglant, pois­seux et pous­siéreux, et couron­né d’épines comme dans les pein­tures de Grünewald.

Indiens

Lieu calme. Mesure, cour­toisie. Là où je suis en cet instant, à l’é­tranger, en Asie du sud-est. Arrive un Indi­en d’Inde. Par­lé du Com­mon­wealth, peau orange. Il envahit. Ges­tic­ule. Occupe. Comme s’il était une foule. Phénomène biologique. Con­ta­gion. A se bat­tre à domi­cile avec la foule on a sur soi ses stig­mates. Bom­bay, New-Del­hi, Cal­cut­ta — des ter­mi­tières. Chi­nois: avec quelques nuances, même effet de masse, même niveau sonore, même ago­nie exis­ten­tielle, et cela même si l’in­di­vidu est pro­jeté dans le monde telle une météorite, c’est à dire seul, touriste seul (ce qui est rare): ils occu­pent à la fois l’e­space et le temps.

Passé composé 2

Et ma femme, Gala, pre­mière fois.

Passé composé

Ce que je vis, je l’ai vécu. Ce que je con­nais, je le recon­nais. Ceux que je n’ai jamais côtoyés, je les côtoy­ais. Ma famille est à part. Pre­mière fois.

Retour à la démocratie

Inter­dire les politi­ciens. Vot­er des pro­grammes au cens nation­al — qua­tre généra­tions d’ap­par­te­nance pour jus­ti­fi­er un citoyen. Nom­mer arbi­traire­ment des admin­is­tra­teurs pris dans le peu­ple. Ils sont respon­s­ables de la mise en oeu­vre du pro­gramme et démis (le cas échéant pénal­isés) s’ils n’ad­min­istrent pas légitimement.

Corruption

Jamais jusqu’i­ci — il y faut donc de la vieil­lesse — je ne m’é­tais aperçu à quel point le prob­lème est la cor­rup­tion, effet de la faib­lesse, dont relève aus­si la loi. Ce qui, je dois l’as­sumer, tout incroy­ant que je sois, fait de ma morale une morale religieuse.

Vayakorn

Demandé mon visa pour la Bir­manie. La secré­taire :
-Vous voulez allez à Naypyi­daw?
Mais une fois con­fir­mé, elle dit:
-Apporter le bil­let d’avion et ce sera prêt mer­cre­di.
Je retourne au cen­tre-ville, achète un bil­let en ligne Vien­tiane-Suvarn­ab­hu­mi-Naypyi­daw, change des dol­lars, loue un vélo, roule les dix kilo­mètres le long du fleuve, tra­verse le car­refour dan­gereux le vélo sur le dos, tra­verse le quarti­er des écoles, sonne au por­tail de l’am­bas­sade de Bir­manie, le por­tail coulisse, je rem­plis la main courante, je tends mon bil­let d’avion à la secré­taire, je tends mes dol­lars à la secré­taire et la secré­taire me rend mes dol­lars:
-Là, vous voyez, les bil­lets sont déchirés.
Je tire la tête.
-Désolé, le gou­verne­ment du Myan­mar n’ac­cepte pas les bil­lets déchirés.
Je tire la tête.
-Bon, vous paierez mer­cre­di.
Je reprends la vélo, roule le long du fleuve, rap­porte les bil­lets à la banque, ren­tre dans la cham­bre du Vayako­rn, met le ven­ti­la­teur, ne bouge plus — qua­torze heures, il fait quar­ante degrés.

Pierre de Vientiane

Soirée avec des Français à l’an­gle de l’av­enue Set­thathi­lath. Sym­pa­thique, désor­don­née, infer­nale. Au début, dis­cus­sion de bon aloi. Il y a une magréb­hine. Elle ingère de gross­es quan­tités de pastis, par­le de la mort subite de son petit-fils et du cous­cous qu’elle cui­sine deux blocs plus loin. Et le patron, Pierre, assis dans un fau­teuil à bas­cule, la chemise ouverte. Il tape sur les fess­es de ses serveuses, avale des bières minia­tures, en avale sept, huit, dix (la serveuse m’ac­com­pa­gne aux toi­lettes demande si elle peu — “non”). Entre eux, puis avec moi, Annie l’Arabe et Pierre le Français par­lent de fac­tures, d’im­pôts, de tax­es, de vol, de ban­ques. Soudain débar­que un cou­ple de Mont­pel­li­er. “Cou­ple” car ils ont l’air de vivre ensem­ble quoiqu’il ne soient qu’amis, mais amis ils le sont comme on l’est à l’ado­les­cence. Ils ont cinquante ans. L’un plat comme une limande, hilare, ivre; l’autre, surex­cité, suant, ivre. Tous deux nar­rent et dans les détails, on imag­ine lesquelles, leurs ren­con­tre avec des Séné­galais­es. Mais, se lamentent-ils, “on les a per­dues en route!”. Puis ils coupent court, les voici! A peine ai-je le temps de me gar­er, elles sont sur leurs genoux. Com­ment font-ils pour tenir l’équili­bre sur ces tabourets pour rachi­tiques? Car leurs Africaines ont un poids de camion. Après avoir passé quelques com­pli­ments salaces, le plus lancé :
-C’est bon, on les embar­que!
-Hec­tor, elles par­lent français! Observe l’autre.
La plus épaisse des Africaines, s’esclaf­fant:
-Mais oui, on par­le français!
Pierre, le patron:
-J’ai un bar clan­des­tin der­rière, on y va tous.
Je décline. Reste le temps de cette con­ver­sa­tion:
-Tu vois ces filles sur le trot­toir en face? Me fait Pierre.
Fines, dotées, hautes, presque nues. Des putes Laos.
-Que des mecs! La poitrine, c’est à ça que tu pens­es? Eh bien, elles pren­nent la pilule, ça pousse! Allez, au bar!
-Mer­ci pour la soirée, je ren­tre!
-Alexan­dre!
-Non, non vrai­ment!
-Eh bien moi, dit Pierre, quand ça sera foutu ici, j’i­rai en Grèce ou en Catalogne!