Pierre de Vientiane

Soirée avec des Français à l’an­gle de l’av­enue Set­thathi­lath. Sym­pa­thique, désor­don­née, infer­nale. Au début, dis­cus­sion de bon aloi. Il y a une magréb­hine. Elle ingère de gross­es quan­tités de pastis, par­le de la mort subite de son petit-fils et du cous­cous qu’elle cui­sine deux blocs plus loin. Et le patron, Pierre, assis dans un fau­teuil à bas­cule, la chemise ouverte. Il tape sur les fess­es de ses serveuses, avale des bières minia­tures, en avale sept, huit, dix (la serveuse m’ac­com­pa­gne aux toi­lettes demande si elle peu — “non”). Entre eux, puis avec moi, Annie l’Arabe et Pierre le Français par­lent de fac­tures, d’im­pôts, de tax­es, de vol, de ban­ques. Soudain débar­que un cou­ple de Mont­pel­li­er. “Cou­ple” car ils ont l’air de vivre ensem­ble quoiqu’il ne soient qu’amis, mais amis ils le sont comme on l’est à l’ado­les­cence. Ils ont cinquante ans. L’un plat comme une limande, hilare, ivre; l’autre, surex­cité, suant, ivre. Tous deux nar­rent et dans les détails, on imag­ine lesquelles, leurs ren­con­tre avec des Séné­galais­es. Mais, se lamentent-ils, “on les a per­dues en route!”. Puis ils coupent court, les voici! A peine ai-je le temps de me gar­er, elles sont sur leurs genoux. Com­ment font-ils pour tenir l’équili­bre sur ces tabourets pour rachi­tiques? Car leurs Africaines ont un poids de camion. Après avoir passé quelques com­pli­ments salaces, le plus lancé :
-C’est bon, on les embar­que!
-Hec­tor, elles par­lent français! Observe l’autre.
La plus épaisse des Africaines, s’esclaf­fant:
-Mais oui, on par­le français!
Pierre, le patron:
-J’ai un bar clan­des­tin der­rière, on y va tous.
Je décline. Reste le temps de cette con­ver­sa­tion:
-Tu vois ces filles sur le trot­toir en face? Me fait Pierre.
Fines, dotées, hautes, presque nues. Des putes Laos.
-Que des mecs! La poitrine, c’est à ça que tu pens­es? Eh bien, elles pren­nent la pilule, ça pousse! Allez, au bar!
-Mer­ci pour la soirée, je ren­tre!
-Alexan­dre!
-Non, non vrai­ment!
-Eh bien moi, dit Pierre, quand ça sera foutu ici, j’i­rai en Grèce ou en Catalogne!