Schwartzsee

Nuit, neige, gri­saille. Il est à peine dix-huit heures. Cafés fer­més. Le camp­ing est au bout du lac, dans l’im­passe. Après la cahute des pro­duits en vente libre, farine fer­mière, miel arti­sanal, pommes de ter­res, le route devient chemin. J’ar­rête le moteur du van sur un ter­rain glacé. Les par­celles n’ont pas été dégagées. Il faudrait un tank pour se gar­er dans cette épais­seur de neige. Tem­péra­ture, moins 4 degrés. En chute libre. J’es­saie d’ou­vrir les armoires élec­triques pour branch­er mon chauffage indépen­dant, elles sont ver­rouil­lés. Le pro­prié­taire, au télé­phone a dit: “installez-vous, j’en­cais­serai demain”. De l’in­térieur des chalets en bis­côme, adossés à leurs poêles, les cou­ples de retraités me regar­dent véri­fi­er une après l’autre les armoires. 

Drôme

Camp­ing de l’Isle-blanc, le lieu est inédit. Logé dans une forêt, invis­i­ble du ciel, rangé con­tre un lac- bassin, acces­si­ble par une la départe­men­tale qui cir­cule entre l’aéro­drome et la cen­trale nucléaire. Aucun pan­neau. J’ai essayé, rien n’indique l’ex­is­tence de ce camp­ing. En juin, j’é­tais per­du. Je règle le GPS. Il m’é­gare. Véri­fi­ca­tion faite, je suis bien sur le site de l’Isle-blanc, mais le camp­ing qui porte ce nom est ailleurs. A‑t-il été démé­nagé? Désor­mais il se trou­ve à quelques cen­taines de mètres du vil­lage l’Homme d’armes. Un vil­lage qui com­mence et aus­sitôt finit, un vil­lage dont le bâti­ment prin­ci­pal est une usine. Je bifurque sur un chemin de terre, pénètre dans la forêt. Gala est éton­né. Moi aus­si, mais ce soir je suis cer­tain de ma direc­tion: j’ai pris des repères en mai, lors du dernier pas­sage. Le camp­ing est là, der­rière une porte grise, tirée, close. A l’in­térieur, pas un bruit. Vaste camp­ing, mais flou, enfon­cé dans la végé­ta­tion. Neuf heures que je roule. Nous avons accéléré pour aboutir car à dix-neuf heures le bar ferme, avec le bar la récep­tion, les gens s’en vont, le silence retombe, on entre plus. Horaire respec­té et pour­tant le bar est fer­mé. A l’Homme-d’armes il fai­sait encore jour, ici la nuit est tombée. Des phares jaunes trouent l’ob­scu­rité. Un Chrysler Wag­on cabossée avec à son bord une famille cou­verte de tatouages : “il faut deman­der un code”. Télé­phone, j’ap­pelle… Répon­deur. Nous quit­tons la forêt, remon­tons en direc­tion de Tri­c­as­tin, garons le van au Floréal, autre camp­ing, en ter­rasse celui-là, vue sur les chem­inées de refroidisse­ment. Sous les panach­es de vapeur j’en­file à grand-peine la capote isolante sur le toit ouvert. Il fait deux degrés. Sans la capote, impos­si­ble de dormir dans le lit d’étage. 

Fascisme

Par­ti­san du fas­cisme celui qui l’im­pose jamais celui qui le subit. Or, comme il faut pour l’im­pos­er que beau­coup le subis­sent, il ne peut exis­ter, au moins dans la durée, de pro­jet fas­ciste sol­idaire au niveau d’une société.

Bétail galactique

Quel spec­ta­cle de l’in­vis­i­ble ces vach­es aéri­ennes d’A­grabuey! L’é­cho des cloches tra­verse les nuages et vole au-dessus des toits mais quand l’on met la main en visière on ne trou­ve pour corps de preuves que des tach­es gris­es qui se meu­vent sous le ciel avec la légèreté du pollen.

Suite

La nais­sance est une décon­cen­tra­tion de l’én­ergie, à l’in­verse la mort est une con­cen­tra­tion. De ce point de vue, la fable de la trans­mi­gra­tion des âmes est peut-être plus qu’une fable, une recréa­tion hors du corps. Que ce soit dans un espace-temps qui admet les corps sub­tils (impondérables) ou sans espace ni temps. 

H+

L’hy­per­indi­vid­u­al­isme est une hal­lu­ci­na­tion. Cela con­siste à pro­jeter un corps voulu à par­tir d’un cerveau-esprit qui se croit autonome à l’in­star de ces com­mis­saires en marx­isme qui pen­saient pour­voir pro­jeter l’homme nou­veau à par­tir des thès­es du maître. Tout con­struc­tivisme social est une hal­lu­ci­na­tion et con­duit fatale­ment au déni — puis à la néga­tion active — du réel. 

H+

La troisième révo­lu­tion indus­trielle, celle de l’in­for­ma­tique, aura per­mis d’achev­er le déport de la force de l’homme vers la machine en cen­tral­isant les com­man­des de con­trôle des machines lour­des dans une machine légère, l’or­di­na­teur. Désor­mais nous sommes entourés de pro­thès­es mécaniques, cer­taines nanométriques (puces), d’autres gigan­tesques (usines). A l’oc­ca­sion de la révo­lu­tion prochaine, celle de l’au­tonomi­sa­tion com­plète du parc des machines, il se pour­rait que la lutte néces­saire, la lutte pour la survie de l’homme au milieu des machines, nous oblige à rap­a­tri­er la force dans les corps de chair et de sang.

Choses

Plante, tasse, duvet, cor­beille, livre, bidet, des choses du quo­ti­di­en j’ai grand souci, je veille à leur main­tien esthé­tique, je n’y peux rien, je rec­ti­fie, soigne, dépous­sière, aligne. 

Subtilité

La sub­til­ité est l’art de dire que ceci est ain­si, et en même temps n’est pas ain­si. Non pour en faire accroire ou trich­er, mais par esprit d’analyse et pro­bité intel­lectuelle. Peut-être parce que cela demande de la lenteur et de la con­cen­tra­tion, ou encore parce que cela agace ou provoque, l’art de la sub­til­ité se perd. Il faut tranch­er, et pour tranch­er dire: ceci est “ceci”, cela “n’est pas cela”. Mais alors le débat devient le com­bat, mais alors la vérité devient l’arbitraire.

Longévité

Si l’on met­tait moins de jours dans une année et moins d’an­nées dans une vie, les gens acquer­raient les com­pé­tences de l’âge avant l’âge et accom­pli­raient plus tôt ce qu’ils accom­plis­sent plus tard.