I.A.

“Nous entrons aujour­d’hui dans l’ère du fake à base d’I.A. telle­ment réal­iste que seule une machine dotée d’I.A. pour­ra encore dis­tinguer le vrai du faux.” Vin­cent Vershoore.

Fin juillet

Les derniers Flo­rentins paressent sur les bancs, à l’om­bre des cor­nich­es, dans les parcs. Les autres ont quit­té la ville. Chaque fois que je pose la ques­tion, on me répond : je vais à la mer. Tout de même, la sen­sa­tion est étrange. Hier soir, comme je reve­nais du club de sport, j’avais l’im­pres­sion de cir­culer à tra­vers un désert urbain, dans une atmo­sphère de dimanche. Tout à l’heure, nous irons en ville, près du Vieux Pont, boire avec des amis sur les berges de l’Arno. Y aura-t-il des touristes? Des mil­liers, bien sûr, en cohorte, les long des trot­toirs bom­bés. Mais il y aura aus­si des vides, une foule cadencée, l’ab­sence des habi­tants ital­iens, par­tis au frais, les autres retranchés dans les Trat­to­rias ou cachés dans les parcs.

Enfants

Ecrit une let­tre d’ad­mon­es­ta­tion aux enfants. Il y a urgence. A décider. Car ils sont à la croisée des chemins. Je leur pro­pose une sorte de pari pas­calien. Où il n’est pas ques­tion de croire, mais de lire. Si vous ne lisez pas dés main­tenant, leur dis-je, et à l’avenir, sans per­dre un jour (je jur­erais que mon fils n’a pas lu un livre en entier de sa vie et il aura vingt ans au mois d’août), vous serez rangés, avec le com­mun, dans cette caté­gorie neuve, abru­tie, numérique, anti-cri­tique et mal­léable, et bien­tôt mal­heureuse. Ma con­vic­tion: la sub­stance qui fait la per­son­ne sera per­due. Ajou­tons, impos­si­ble à reconquérir.

Reprises

Trois com­bats de trois min­utes. Pas tenu la fin du dernier. Excuse — il en faut une — il fai­sait 32 degrés dans le souter­rain. Mais c’est une excuse.

Beyle et le Cardinal

Le Car­di­nal de Retz nous racon­te ses duels et ses trous­sages, son ambi­tion poli­tique et ses cal­culs de mariage. Comme Stend­hal, qui fait d’ailleurs l’éloge de l’aîné dans ses Mémoires d’un touriste, voy­age en Bre­tagne et en Nor­mandie, il court, observe, entre­prend, fait et défait. Bref, tous deux s’agi­tent.  Déportés ici, exilés là, ils vis­i­tent la France, passent de la vis­i­bil­ité à l’in­vis­i­bil­ité. Ce que nous ne pou­vons aujour­d’hui. Certes, les déplace­ments sont inces­sants. Voiture, train, avion, tour du monde. Le plus sou­vent, nous allons immo­biles, assis, trans­portés tels des paque­ts entre les mains d’une équipe de livrai­son. Quant à nos tra­jec­toires, elles sont com­mer­ciales, donc dégagées, coor­don­nées et con­formes. Impos­si­ble de s’échap­per. L’e­sprit d’aven­ture qui ani­me le Car­di­nal comme Beyle (ain­si que se nomme Stend­hal, qui aime par­ler de soi à la troisième per­son­ne) tient à la pos­si­bil­ité de s’es­say­er sans cesse sur des scènes dif­férentes. S’il y a échec, il leur suf­fit de s’en aller. Répu­ta­tion gâchée à Ver­sailles? En route pour Paris. Une con­ju­ra­tion déjouée en Bre­tagne? A cheval! Cette folle agi­ta­tion n’est pas insen­sée. Ces hommes-là accu­mu­laient en quelques années une expéri­ence inédite. La France d’hi­er était plus vaste que le monde d’aujourd’hui.

Di2

Au départ de l’Es­pagne, j’ai fait une liste des affaires de vélo. Puis une sec­onde. Et pris de l’a­vance. Qua­torze jours. Réu­ni le néces­saire: chaus­sures automa­tiques, lunettes, cuis­sards, mail­lot, coupe-vent… Et démon­té le vélo, net­toyé le vélo, placé le vélo dans la voiture. En Ital­ie, je vois que je n’ai pas de pompe. J’achète (pour la tren­tième fois), pas de rustines (j’achète pour la deux cen­tième fois), pas le cable qui per­met de recharg­er le change­ment des vitesses élec­tron­iques. Je cherche un four­nisseur. Trois heures de tra­vail. Je le trou­ve. Gala appelle. Il rap­pelle. Je demande le prix. On me le donne. Cent dix francs. Pour faire trois ou qua­tre sor­ties… Puisqu’après, je retourne en Espagne, où se trou­ve mon cable. Depuis, je passe et repasse devant le vélo, ne sachant que faire: achète, achète pas? Qu’on ne me par­le pas d’élec­tron­ique. Oui, c’est génial. Quand ça marche. Quand on pense à tout. Quand on sait répar­er. Quant on a son mécani­cien à portée de la main. Non, ce n’est pas génial, c’est compliqué.

Ecrivain

L’es­sai sur cyberné­tique et libéral­isme est à Paris, entre les mains de l’édi­teur, lequel annonce la pub­li­ca­tion pour le début de l’an­née. Après ces vagues de cor­rec­tions et en atten­dant la révi­sion ligne à ligne, j’ai écrit Le roi de Suisse, une farce en sept actes. Au-delà du plaisir d’écri­t­ure, inutile d’e­spér­er voir la pièce mise en scène : le gou­verne­ment par la sub­ven­tion des théâtres exclut d’emblée ce type de pro­pos anti-idéologique. Hier, bière et ciné­ma améri­cain dans la caté­gorie “deep shit Arkansas”, soit ces drames pro­duits par des réal­isa­teurs indépen­dants qui évo­quent le des­tin calami­teux des villes en fail­lite de l’Amérique pro­fonde. Ce matin, com­mencé la tra­duc­tion de l’es­sai à l’es­pag­nol. Mes enfants ayant per­du le dic­tio­n­naire bilingue dont je me suis ser­vait à l’u­ni­ver­sité, j’ai com­mandé le même vol­ume à une bro­cante d’Alle­magne. Déposé par la poste dans les deux jours, il a coûté 8 Euros. Sec­ond motif de sat­is­fac­tion, retrou­ver ces pages. Je feuil­lette avec délec­ta­tion, glane dans les mots qui précè­dent et suiv­ent ma recherche, agence les phras­es de mon pro­pre texte comme je l’ai fait si sou­vent, assis au fond de la bib­lio­thèque des Philosophes, aux Bas­tions, sur les textes médié­vaux et clas­sique de la lit­téra­ture espag­nole. S’y ajoute désor­mais la con­sul­ta­tion des tra­duc­teurs élec­tron­iques dont il faut van­ter la per­ti­nence; mais aus­si not­er que la recherche sur inter­net d’une expres­sion mène automa­tique­ment à une réponse, je dis bien “une”. Ici, pas de con­texte, pas de ren­con­tre sur­réal­iste, pas de vagabondage de l’e­sprit au hasard des pages. Ain­si de ce mer­veilleux “parkéri­sa­tion”, que j’in­scrirais volon­tiers au nom­bre des pro­duits de mon Généra­teur de vocab­u­laire s’il n’ex­is­tait dans le Larousse. Nulle doute que je n’en fasse bon emploi lorsque je décrirai la cap­i­tale de la junte bir­mane, Naypyidaw.

Sage

Ne par­ticiper à rien. Début de la sagesse.

Ancilangue

Main­tenant que tout se sait, pourquoi con­tin­uons-nous à croire au men­songe? Parce que penser est la pire des punitions.

Hoquets

Epou­vantable hoquet hier dans la nuit. Epou­vantable n’est pas un mot lit­téraire: j’avais peur. Ayant bu de fortes quan­tités après ces quinze jours à l’eau, le corps sec­ouait. Ne sachant que faire — les spasmes durent, les poumons con­tractent, le gorge brûle — je sors du lit, ren­verse ma bouteille, éponge, sors dans la cour aux ani­maux, trou­ve ma corde à sauter et de retour dans la cham­bre saute. J’ai dans l’idée de réguler la res­pi­ra­tion en l’ac­célérant — ça ne marche pas. Le hoquet per­siste. Je me con­tor­sionne. J’émets des bruits, je râle, je soupire, je souf­fre. Le hoquet, le hoquet. Dans cet état, me dis-je, mieux vaut mourir. Le jour où cela se pro­duira à grande échelle, me dis-je, il fau­dra se tuer. Pour l’heure, je ne sais com­ment faire. Je vais à la salle de bains, au jardin, dans la nuit, à l’é­tage, au rez, jurant, cri­ant, hoque­tant; je parie que dans le silence des heures on m’en­tend dans toute la ferme. Au bout de cinquante min­utes, l’épou­vante ren­tre dans le corps, il se tait. Les bras m’en tombent. Epuisé, je regagne le lit, me ren­dors. Ce matin, au réveil, à midi, nou­veaux hoquets. Démon­té, je vais au petit-déje­uner. Gala m’ac­cueille:  “Tu es là, tu es là,? J’ai cru que tu mourrais!”.