La création d’intrigues est un acte de méfiance envers l’esthétique. Le réel est intrigue. Le représenter au plus près de sa réalité, ce qui est le défi de la littérature, révèle son intrigue.
Voyage 2
Que faire ? A quoi rime ce jeu? Je n’y vois goutte. Bâton devant, je sonde le sol, j’avance. Encore faut-il tenir la distance entre les deux murs. Par endroits le couloir du labyrinthe se resserre. Puis il fait un coude et s’élargit. Je suis alors renvoyé dans la direction d’où je viens. Il n’y a pas de lune. Les palmiers flottent En hauteur flottent les feuilles des palmiers. Un vent léger agite les bambous: et les bambous: tchac-tchac. Un bruit de pluie. Maintenant des racines gonflent sous mes pas. Il me faut ralentir. J’enjambe. Je progresse. A nouveau je suis arrêté. Quelque chose. Un tronc? Un pas de côté, je me tiens au mur. De grosses pierres rondes noires, je ne sais pas. Des oiseaux crient. Dix minutes que je erre dans le noir. La fatigue me rattrape. Pas celle du corps, celle de l’esprit. Ce jeu tombe au mauvais moment: encore abruti par le vol depuis Madrid, la nuit à l’hôtel Revolución, le second vol vers Mérida, la journée en ville, la course en voiture, pour aboutir ici, dans ce noir. Mais il faut continuer, marcher devant soi — ce que je fais. Quand soudain, je m’arrête puis je ne le peux plus, des fûts on jailli de terre, ils sont devant moi, ils bloquent le passage. Je suis soulagé. J’ai trouvé la solution : c’était ça, aller jusqu’à l’obstacle, le reconnaître, comprendre que « on n epeutr pas » et alors rebrousser chemin. C que je fais. Dix minutes de plus à marher dans la nuit. Cette fosi d’une pas plsu rapide, il me semble reconnaître des morcaux de mur de ciel, d’arbres. Je débouche su rla place o~u nous aonv chois entre les quatre éléments. Et je reprnds la sente, arrive au portail, avise le gardien , lui tend le baton. Il est aterré :
-Non, non.
« Comment ça ? ».
- « El patrón » veut que vous alliez au bout !
-Ben voyons…
Le gardien reste ferme : il faut aller au bout.
Donc je retourne dans le labyrinthe. A nouveau je choisis terre. Et je marche. Plus vite. Jouant du bâton. Arrivé devant l’obstacle, j’en prends la mesure. Ce n’es pas impossible. Il ne faut pas être gros. Je ne le suis pas. Il faut avoir le corps fin. Et souple. Souple, ça ira, fin, c’est à voir. Je me contorsionne et finis par passer. De l’autre côté de l’obstacle, nouveau couloir de pierre qui conduit à d’autre couloirs de pierres. Et la marche reprend. Quand je sors enfin du labyrinthe, je trouve Juan et Toldo assis devant une fontaine aux anges.
-Tu étais où ?
Après-midi
A la recherche de Isabel la Católica à bord d’un taxi brinquebalant. Manqué m’y rendre à pied. J’aurai eu tort. C’est introuvable. Le chauffeur demande, il me laisse dans la voiture, il se plie en quatre. Bien sûr, j’ai trop payé : il fait le travail. « Wendy », l’employée de Imprenta Cauthemoc, a confirmé l’adresse et donné le numéro. Sans dire que dix-huit bureaux portent le numéro 121c. Pour l’apprendre, il faut discuter avec un vendeur de tortilla. Celui-ci m’emmène à travers un labyrinthe d’escaliers, de portes et de cours. Wendy est assise dans un petit bureau rempli de brochures (ce que je fais fabriquer). Le contrat est conclu en quelques minutes, je remonte dans le taxi. Bien content de cette course le chauffeur achète sur le retour aux ambulants installés le long des trottoirs: il me fait goûter des « víboritas », gélatines sucrées en forme de vipères puis des raisins au chocolat et de la mangue au chili ; pour lui il prend des cigarettes à l’unité, les fume l’une après l’autre.
Matin
Promenade dans le quartier de l’Alameda en passant par Hidalgo. Sur le Zócalo bouclé par la police, préparatifs pour une reconstitution historique « la conquête de Tenochtitlan par Cortés ». Derrière les barrières, des indiens en costumes, des Espagnols en armure et des fanfares de l’armée (celles-ci authentiques). Devant les barrières, cireurs de chaussures, « peones » qui aident les bourgeois à se garer, police de proximité, aztèques qui vendent de la bimbeloterie, touristes en Bermudes. En haut d’une façade, côté est de cette place qui est la plus grande et la plus connue du Mexique, le bar en terrasse où nous avons passé la soirée avec Luv et Toldo il y a 25 ans, au centre, la Cathédrale baroque où j’ai écouté Guy Bovet jouer du Pachelbell il y a quarante ans. Dans le parc d’Hidalgo, une faune de clochards dont la peau a la même teinte que la terre. Au pied des arbres, ils gisent à demi-morts. Partout des gamins hirsutes, noirs de saleté. Dans les jupes de leurs mères, des sucreries. Les femmes vendent à l’encan. Sur un îlot côté Revolución, trois cent individus défoncés au cannabis sous la banderole « Défense des droits humains du fumeur de haschich ». Les plus atteints rampent au sol, cherchent un mur où s’appuyer.
Hotel Revolución, Mexico D.F.
Perdu dans son costume, le réceptionniste de vingt ans enregistre ma réservation comme on gèrerait une affaire décisive pour l’avenir de l’humanité. En même temps qu’il fait, il dit ce qu’il fait. La concentration est si forte qu’il n’a pas le temps de regarder le client, d’écouter le client, de sourire. Ce réceptionniste me rappelle mon médecin de Châtel-Saint-Denis, jeune lui aussi : qui pose des questions le nez dans l’ordinateur, tape la réponse sans vous regarder, serre la main sans changer de position et vous envoie à la prise de sang : « vous recevrez les résultats par mail ».
Vol
Boeing d’Aeromexico : assis à l’arrière, contre les toilettes (siège le moins cher du vol), avec vue sur 300 écrans de divertissement. Deux rangés devant, un grand-père Mexicain enchaîne film sur film pendant les 12 heures que dure le vol. A ma droite un étudiant juriste de Toluca. Il rentre d’un semestre d’échange, porte un T‑shirt de l’Académie de Platon, me montre sur son téléphone ses photographies des lieux philosophiques de la Grèce ancienne. Sur la tête il a empilé des casquettes souvenirs, une par ville visitée : Athènes, Rome, Amsterdam, Londres… De l’autre côté du couloir, siège vide. Celui de Gala. L’avant-veille du départ, elle a mal, elle ne peut pas, elle ne veut pas prendre le risque. Un mal, un risque, un pouvoir ou ne pouvoir-pas qui sont aussi des excuses. Acheter des illusions au frais de l’autre, facile — je préparais le voyage depuis novembre.
Brazil-Barajas
Après l’enregistrement, la douane et la fouille, autre portique, flambant neuf celui-ci, gardé par une policière adolescente. Je dis « une » pour indiquer qu’elle est seule, que ce sont les machines qui font le travail. Que font ces machines ? Elle font passer. Comme l’outillage est neuf, que personne ne comprend son fonctionnement, une négresse pousse les voyageurs dans la direction des machines, les installe, leur intime de ne plus bouger. Une fois immobile dans cette espèce d’aquarium verticalisé le client présente son passeport, son visage, ses mains et la prunelle de ses yeux. La machine digère et coordonne. Si vous êtes celui que vous êtes, la machine ouvre la barrière. Comme “je suis celui que je suis”, elle ouvre, je passe. Mais la policière me rattrape, elle m’interpelle. Elle consulte mon passeport. Téléphone. Le consulte encore. Prends des ordres. Dans mon dos, les clients du monde entier, indiens en pagne, Chinois, routards, cow-boys. Ils passent. Ils plaisantent. Vont boire des jus. Partent en vacances. Je reste. A la policière, je fais valoir que ce doit être le passeport. Lui aussi est neuf. Et Suisse. Donc en avance. Technologiquement, veux-je dire… Non, ce n’est pas ça. La policière adolescente compose un autre numéro, fronce les sourcils:
-Vous sortez de prison ?
« Non ».
-Vous avez fait sauter l’alarme rouge! Regardez, là!
Je regarde là.
-Eu affaire à la justice récemment ?
Obligé de dire « oui », sans trop savoir à quoi j’acquiesce.
Les gosses à qui j’aurai donné une tarte ? La policière ne sait pas. Moi non plus. Cette affaire de gosses qui, comme la plupart des affaires en justice, vérifie que la Justice n’existe pas. Affaire au cours de laquelle les parents ont menti, les gamins ont menti sur ordre, les juges femmes ont écouté ces mensonges et menti au nom de l’idéologie féministe avant que de juger, et me voici « alerte rouge » !
Départ
Loué par internet un stationnement sur un terrain vague de la périphérie de l’aéroport de Madrid-Barajas. A la réception du van, une famille de Sévillans, sept personnes avec la grand-mère et les petits-enfants, s’inquiète auprès de l’employé : « comment rejoindre la porte d’embarquement pour notre vol, il est écrit ici qu’elle ferme à 10h10? ». Je consulte l’heure : il est 9h54. Après avoir garé et débranché le van (il restera 45 jours sur ce terrain), je reviens avec mon sac à dos à la réception. Les Andalous sont toujours là. A 10h00 ils embarquent à mes côtés dans la navette. Devant le terminal, la mère des petits prend la direction du groupe et dit : « on ne s’arrête pas jusqu’à avoir atteint la porte ».