Mines

Garé le van au camp­ing d’Alia­ga, der­rière une chapelle romane. Pour attein­dre la récep­tion, il faut rouler sur un pont médié­val ou plonger dans la riv­ière. Le défilé qui con­duit au vil­lage minier est flan­qué de cen­taines de coro­ns. Je monte la capote d’hiv­er sur le toit ouvrant, fais mon lit en haut, Gala dormi­ra en bas. Il y a un bar. En Espagne authen­tique, il ressem­ble à une salle de bains. Car­relage blanc, comp­toir de fer, bac à glaces et poêle à pel­lets. Pour­ra-ton manger ce soir? Oui, mais seule­ment si vous venez à 20h30 pré­cis­es. C’est que la dame attend cent per­son­nes. Au vu du local, du silence, de l’isole­ment, astronomique ce chiffre! Une torche à la main, nous nous ren­dons au bar à l’heure dite. Porte fer­mée. A neuf heures moins le quart, moins dix puis neuf heures: porte fer­mée. Scep­tique, je fais à Gala: “elle t’a bien dit pour ce soir? Après tout c’est dimanche… ” A 21h20, une dizaine de clients atten­dent dans le noir. Nous bavar­dons. Le clients ne savent pas. Ils ont réservé. Ils font: cent cou­verts? Ce soir? Oui, c’est posi­ble. Soudain, bruit de moteur. Une jeep tra­verse la riv­ière. La patron et sa dame saut­ent à terre. Ils salu­ent. Ils ouvrent le bar, sor­tent du vin, des sauciss­es… Bien­tôt cent per­son­nes com­man­dent, chahutent, chantent et rient.

Oliete

Apéri­tif d’an­chois, d’o­lives et de vin dans une sta­tion-ser­vice de Bel­chite, le vil­lage “musée de guerre” voulu par Fran­co. Ensuite route à tra­vers les déserts de Teru­el. Nous atteignons l’après-midi le vil­lage de Muniesa. Posé sur un roc, entouré de cirques, ses maisons pointent vers le ciel. La dernière, celle de Dieu, touche aux nuages. En pente, les rues sont qua­si imprat­i­ca­bles. Elles tombent comme les robes-cloches des dames de cour. En aval dans une herbe translu­cide, le rio Reguera Granje­ta. C’est dimanche. Les familles digèrent au soleil, des enfant motards font des acro­baties sur la route de tra­verse. J’en arrête un. Au moment de deman­der ma direc­tion, je vois que je ne sais pas dire “gouf­fre” ni même trou (quand il n’est pas au pan­talon). “Peux-tu m’indi­quer la grotte effon­drée?”. Car l’ingénieur en mines Loren­zo, mon voisin d’A­grabuey, comme j’ex­pli­quais notre inten­tion de vis­iter la “trou” d’Oli­ete a pré­cisé : il s’ag­it d’une voûte de grotte qui s’est effon­drée”. Le gosse motard ne sait pas. Depuis un patio, son par­ent crie : “la Sima de San Pedro hijo!”. Nous l’at­teignons quelques min­utes plus tard, elle est au fond d’une val­lée qui sent le porc d’él­e­vage. Entre temps la route est dev­enue chemin, le chemin tracé, el tracé dif­fi­cile. Gala recom­mande de finir à pied. Elle attendrait près des éle­vages. Je gravis par le ter­rain. Trois lacets et le “trou” est là. Cent mètres de bouche. Autant de pro­fondeur. Ou plus? Je marche sur les lèvres, passe la tête au-dessus de la clô­ture. Les façades intérieures que lisse la lumière sont ocres et rouges. Une famille m’a précédé sur le sen­tier de ronde. Elle marche en sens inverse des aigu­illes de la mon­tre. Nous nous croi­sons. Au point d’échan­crure, une nacelle per­met de s’a­vancer au-dessus du vide. Elle est inter­dite. J’en­jambe la clô­ture. Fais quelques pas. N’ose pas aller plus loin. Des oiseaux piail­lent dans le ciel. “C’est pro­fond?” demande Gala quand je la retrou­ve dans le van (por­tières clos­es pour lim­iter la puan­teur des porcs). Je ne sais pas. Pas exacte­ment. “Très pro­fond…”, je dis. Et gouf­fre se traduit “sima”.

Aurum

Décou­vert une suc­cur­sale Eros­ki à Puente. Au ray­on “bières”, l’é­ti­quette des prix pour un litre de Aurum mais plus une bouteille, l’é­tagère est vide. La gérante se ren­seigne. Elle appelle la cen­trale basque. “Oui, je peux vous avoir 120 litres”. Je me réjouis. En out­re je remar­que l’af­fichette “livrai­son gra­tu­ite au-dessus de 90 Euros”. Je donne mon adresse dans les champs. La gérante revient un car­net à la main: “Donc… com­bi­en de packs de six litres?”. ” — 20 packs. La gérante sort une cal­culette, grif­fonne dans le car­net, hésite, recom­mence. “Désolé, s’ex­cuse-t-elle… Alors vous aimez cette bière?”. ‑Il y a longtemps que je cher­chais de l’Au­rum, je la buvais à Bil­bao. Vous l’avez goûtée? “Oh, vous savez moi, après le pre­mier litre…”. Mieux fait de me taire, car elle s’embrouille. Eteint la cal­culette, la ral­lume. Mar­monne des quan­tités, des prix. ‑Dix fois six litres mul­ti­plié par deux, je tranche. Elle rit, sourit: “bon, on va recom­mencer…”. — Bu trop de bière? Sim­ple plaisan­terie. Ne voilà-t-il pas qu’elle me fixe: “nous sor­tons tous de trois jours de fête…”.

Lieu

Grand soleil sur Agrabuey. Quelques mou­tons dans les pacages. Au loin l’aboi des chiens de chas­se. Nichés la semaine, mais calmés par les battues d’au­tomne. Dans le cœur du vil­lage, une tran­quil­lité de pierre que seule rompt une fois l’heure une fois la demi-heure la cloche des anci­ennes écoles. Au jardin je soulève, je pompe, je tire, je m’étire. Puis je fais un pain et cui­sine avec Gala en buvant de la bière ou du vin. Au cré­pus­cule, nous allons sur le bord de la riv­ière, marcher quelques pas, cueil­lir du bois tombé, saluer les voisins. 

Sauterelle 3

Main­tenant que je me suis rangé à l’avis de Gala, il me revient que Travis me dis­ait la semaine dernière: “Oh, non tu ne peux pas imag­in­er, la nuit, autour de la mai­son, en plein cen­tre de Détroit, j’ai des chevreuils, des san­gliers et des coy­otes, et dans le caniveau cir­cu­lent des loutres”.

Sauterelle 2

A Gala je racon­te l’in­ci­dent de la sauterelle améri­caine. “Mais enfin, me dit-elle, réfléchis! D’où a t‑elle pu venir?”. Et de répon­dre: “Avec tes Améri­cains bien sûr, des Etats-Unis ! Ils l’ont apportée dans leurs valises”.

Raymond Abelio 2

“Aus­si l’in­tel­lectuel, là-bas [en Argen­tine], rede­vient-il assez vite fidèle à l’Eu­rope, à son anci­enne idée de l’Eu­rope. Au début, le matin, alors que je m’en­fonçais à cheval dans des champs d’herbe plus vastes que la France []… J’ai dure­ment appris que cette terre plate et indéfinie, puis­sante et grasse, peut devenir la plus effroy­able des pris­ons, qu’elle le devient même sans faute pour tous ceux qui ne sont pas encore assez présents à eux-mêmes pour n’être plus jamais pris­on­niers nulle part…”, La Fos­se de Babel.

Incendie

Notre-Dame de Paris: le gou­verne­ment boute le feu, les dona­teurs aident à la recon­struc­tion. Impres­sion­nant ce que peut un seul homme mal tourné, bien manip­ulé, le prési­dent de France. Et ce que peu­vent par opti­miste et croy­ance 340’000 fidèles. Cela alors que tous, du sin­istre à la fin du chantier, demeurent en place tels chiens de faïence: crim­inel d’une part, human­ité d’autre part.

Raymond Abelio

“En fait, l’Ar­gen­tine ne fut pour moi qu’un autre monastère, mais immense. Cinq années durant, je fis là l’ex­péri­ence d’un pays sta­tique, exacte­ment ce qu’est en Europe la Suisse, cen­tre immo­bile du tour­bil­lon occi­den­tal”, La Fos­se de Babel.

Fatigue

Lenteur, flux de parole alen­ti, phras­es frag­iles. Ne sais pas. Trop à faire. Alors que je ne fais rien. Si — de la musique avec FL stu­dio, des recettes de cui­sine, un peu de saoulerie. J’ou­blie de dire qu’en­tre-temps sont venus Travis (et son amie de l’Ore­gon), mon hôte à Detroit lors de l’écri­t­ure de Forde­troit — c’é­tait il y a dix ans. Qu’il a fal­lût s’oc­cu­per, les occu­per et mon­tr­er l’Es­pagne. D’abord le monastère troglodyte de San Juan de la Peña. Je donne le choix, ce pou­vait aus­si être la gare de tran­sit de Can­franc, bâti­ment long, très long, instal­lé dans une gorge, bâti­ment à l’his­toire fran­quiste et nazi. Ce que j’évi­tai de pré­cis­er mon ami du Michi­gan étant un homo­sex­uel-végé­tarien-gauchiste. Or, il but deux bouteilles de Somon­tano rouge et même plus la veille de la vis­ite et se trou­va, le ven­tre ali­men­té de légumes, j’imag­ine, en déficit de forces et prof­i­ta donc peu de la vis­ite, tan­dis que je con­dui­sais dans les lacets du haut-Aragón la KIA de loca­tion et son amie, que je croy­ais Indi­enne native, qui était une Gina à l’as­cen­dance mex­i­caine, le câli­nait et je con­tin­u­ais de con­duire sur des routes en lacets, tra­vail­lant mes com­men­taires en anglais sur l’his­toire ibérique. Ain­si, je suis fatigué et je pars pour Barcelone dépos­er Aplo qui se rend à Budapest où il fera la fête avec un copain mil­i­taire suisse arrivé de Dubaï et accueil­lir Gala dont l’avion atter­rit avec une heure et demie de retard (neige à Coin­trin) et arrive en chaise roulante, et en pleine forme.