Terrain 2

Passé ce matin à l’aube, avant que de nou­velles avers­es ne remon­tent le niveau de la riv­ière. Les dents ser­rées, de l’eau jusqu’à la por­tière, j’ac­célère, je gravis l’autre berge en embardée, patine dans l’herbe vive, tangue dans la boue. 

Terrain

A Piedral­ma avec Evola. Milans au ciel, chats sur terre, pluie abon­dante. La riv­ière monte, je ne me méfie pas. Dès la sec­onde nuit, je suis blo­qué. Le jour je net­toie le van et dresse les plans de ma future cabane, le soir, après une marche sur le plateau (100’000 mètres que le paysan vient de ton­dre), nous buvons soue la para­sol, Evola cui­sine des choses fortes, nous regar­dons l’Eu­rope s’effondrer.

Vers l’étranger

J’al­lais en Valais démarcher, ren­con­tr­er, dis­cuter, je n’y vais plus. Décidé à ren­tr­er, je me sens déjà mieux. A Lau­sanne Gala me rend une par­tie de l’ar­gent con­fié pour le Mex­ique. Inévitable, nous avons tout à nous dire: mal­gré la fâcherie, la brouille, le silence, ces choses ne se com­man­dent pas. L’une des bâch­es fab­riquées par la courte­pointière pour l’emballage du cube doit être cor­rigée: NoN me l’a remise, je dois la dépos­er à son ate­lier. Plutôt que de me com­met­tre rue Saint-Mar­tin, au cen­tre-ville, je choi­sis d’en­voy­er par la poste. En fin de compte, Gala s’en charge. Main­tenant il faut par­tir car le por­tail du camp­ing de la cen­trale nucléaire, en périphérie de Mon­téli­mar, près de l’Homme d’armes, ferme à 19h00. J’avais fait mon cal­cul, mais je me suis attardé avec Gala, c’est ser­ré. Et je suis blo­qué sur l’au­toroute de Genève. Train fan­tôme habituel, voitures au ralen­ti, voitures arrêtées, hori­zon d’ob­sta­cles. Au péage d’An­necy, j’ac­célère. Piste de gauche sur deux cent kilo­mètres. Dix min­utes avant l’heure je manque la sor­tie Mon­téli­mar-Nord, puis une sor­tie de gira­toire. Demi-tour dans une zone com­mer­ciel, j’ac­célère, je dépasse. J’at­teins le Flo­ral trois min­utes avant la fer­me­ture automa­tique, je paie mon écot, je gare. La jauge à essence affiche alors “O km disponible”.

Lac 5

Au parc de Mont­benon, sous le Palais de jus­tice, sur un banc longiligne, et j’é­tais encore au col­lège, je mon­trai un jour à Patri­cia mon texte Scène avec objets, pages imag­inées et écrites sur le banc longiligne, en par­tie haute de ce lieu d’ar­chi­tecte d’où le badaud prend vue sur le Léman. Le thème de ce texte sem­blait évi­dent : lorsque l’on observe dans un état d’im­mo­bil­ité les gens faire société on ne com­prend ni ce qu’ils font ni à quoi cela rime. Me revient aujour­d’hui la réponse de la cama­rade : “je ne com­prends pas de quoi tu par­les”. D’une posi­tion d’écri­t­ure qui n’est pas la con­tem­pla­tion de retrait ni l’ac­tion néces­saire pour faire société. Un état pas­sif qui con­jugue regard, réflex­ion, désen­gage­ment. Y être sans en être. Con­di­tion de l’ap­pari­tion de la société comme spec­ta­cle. Et pour revenir à l’é­trangeté de la Suisse (et de toute événe­ment d’une mul­ti­tude organ­isée dont on ignore la rou­tine), si la vision que j’en ai après ces jours passé en basse-ville de Fri­bourg est aus­si désolée c’est que je m’é­tais don­né pour tâche de faire société alors que je voy­ais à mesure que les règles pour ce faire me man­quaient). A l’op­posé, le récent voy­age au Mex­ique, en soli­taire, offrait une expéri­ence bien­heureuse du genre Scène et objets: assis, debout, courant, con­ver­sant, même me liant d’ami­tié, j’agis­sais sans con­séquences, hors toute morale, aucune action n’é­tant suff­isante pour m’im­mis­cer dans une société qui n’é­tait pas et ne deviendrait pas la mienne. Cet équili­bre entre con­tem­pla­tion et par­tic­i­pa­tion est à la fois une expéri­ence de soli­tude et une fusion par l’art, ce que décrit non sans la déjuger Anaïs Nin dans son Jour­nal de Paris lorsqu’elle souligne le manque cri­ant d’empathie d’Hen­ry Miller pour qui toute ren­con­tre, toute rela­tion, toute per­son­ne, n’est jamais plus qu’un événe­ment dont il s’ag­it de tir­er un prof­it littéraire.

Sarine 7

Pau­vre de toute ce que l’on possède.

Sarine 6

Mon­té en ville-haute par les escaliers du funic­u­laire. Acheté avec les autres Suiss­es dans la galerie d’art con­tem­po­rain Migros un pain, deux viennes, un Gruyère. Rincé par l’a­verse sur la descente. Les pié­tons blancs de la Sarine dis­ent “bon­jour”, agréable cou­tume des temps anciens. 

Sarine 5

Pas un “oui”. Des appels pénibles à pass­er, des répons­es pénibles à encaiss­er. L’un des inter­locu­teurs: “qu’en­ten­dez-vous par auto-défense?”. Dehors, autour de la Mot­ta, le tra­vail con­tin­ue: les fonc­tion­naires net­toient et net­toient. Cela me rap­pelle Wal­len­stadt dans les années 1990, seul et unique cours de répéti­tion mil­i­taire, là aus­si je comp­tais les heures et je me répé­tais: “cela existe-t-il? cela est-il possible?”

Rétrocausalité

Cher­chons quelle est l’in­flu­ence du futur sur le présent. Com­ment, je l’ig­nore: les sci­en­tifiques voient cela avec les sci­en­tifiques, mais à titre expéri­men­tal (mes vies noc­turnes, mes déjà-vus, mes intu­itions du devenir), je ne doute pas de la réal­ité de la “rétro­causal­ité”.

Sarine 4

Soirée avec Mon­a­mi Chez Brigitte. Bière belge, épaisse, goû­teuse, soûlante. La fille de Brigitte fait ses devoirs sur le comp­toir. Envie de par­ler de Descartes, de Shake­speare, puisqu’elle révise de la philoso­phie, de l’anglais. Plus grande notre envie de spéculer que son envie d’ap­pren­dre. Anec­dotes sur les exa­m­ens de licence passés il y a quar­ante ans avec Mon­a­mi, à Genève. Mémoires d’outre-tombe. 

Sarine 3

Exer­ci­ces de mus­cu­la­tion sur le ter­rain de foot­ball de Grandes-Rames. Les ménagères appor­tent leur déchets triés, les comptent, les répar­tis­sent, les ménagères con­tribuent au futur. Dan une petite étagère entée sur un muret, des arti­cles de jeux. Un famille ukraini­enne vient jouer au bal­lon. Quand elle finit, elle range le bal­lon dans l’é­tagère munic­i­pale. Prochains appels télé­phoniques à 13h30, ni ttop tôt ni trop tard, fin de la pause sand­wich plus une demi-heure, le respect de l’ho­raire. Cet après-midi, au tour du can­ton de Neuchâ­tel: Fit-joy, Super-fit, Gym­nase 2000. “Bon­jour (Madame ou Mon­sieur, selon l’i­den­ti­fi­ca­tion de la voix qui répond), je vous appelle de la part de la société fri­bour­geoise…”. A quelle heure peut-on com­mencer à boire, boire pour se saouler, pour faire dis­paraître la pluie?