Passé ce matin à l’aube, avant que de nouvelles averses ne remontent le niveau de la rivière. Les dents serrées, de l’eau jusqu’à la portière, j’accélère, je gravis l’autre berge en embardée, patine dans l’herbe vive, tangue dans la boue.
Terrain
A Piedralma avec Evola. Milans au ciel, chats sur terre, pluie abondante. La rivière monte, je ne me méfie pas. Dès la seconde nuit, je suis bloqué. Le jour je nettoie le van et dresse les plans de ma future cabane, le soir, après une marche sur le plateau (100’000 mètres que le paysan vient de tondre), nous buvons soue la parasol, Evola cuisine des choses fortes, nous regardons l’Europe s’effondrer.
Vers l’étranger
J’allais en Valais démarcher, rencontrer, discuter, je n’y vais plus. Décidé à rentrer, je me sens déjà mieux. A Lausanne Gala me rend une partie de l’argent confié pour le Mexique. Inévitable, nous avons tout à nous dire: malgré la fâcherie, la brouille, le silence, ces choses ne se commandent pas. L’une des bâches fabriquées par la courtepointière pour l’emballage du cube doit être corrigée: NoN me l’a remise, je dois la déposer à son atelier. Plutôt que de me commettre rue Saint-Martin, au centre-ville, je choisis d’envoyer par la poste. En fin de compte, Gala s’en charge. Maintenant il faut partir car le portail du camping de la centrale nucléaire, en périphérie de Montélimar, près de l’Homme d’armes, ferme à 19h00. J’avais fait mon calcul, mais je me suis attardé avec Gala, c’est serré. Et je suis bloqué sur l’autoroute de Genève. Train fantôme habituel, voitures au ralenti, voitures arrêtées, horizon d’obstacles. Au péage d’Annecy, j’accélère. Piste de gauche sur deux cent kilomètres. Dix minutes avant l’heure je manque la sortie Montélimar-Nord, puis une sortie de giratoire. Demi-tour dans une zone commerciel, j’accélère, je dépasse. J’atteins le Floral trois minutes avant la fermeture automatique, je paie mon écot, je gare. La jauge à essence affiche alors “O km disponible”.
Lac 5
Au parc de Montbenon, sous le Palais de justice, sur un banc longiligne, et j’étais encore au collège, je montrai un jour à Patricia mon texte Scène avec objets, pages imaginées et écrites sur le banc longiligne, en partie haute de ce lieu d’architecte d’où le badaud prend vue sur le Léman. Le thème de ce texte semblait évident : lorsque l’on observe dans un état d’immobilité les gens faire société on ne comprend ni ce qu’ils font ni à quoi cela rime. Me revient aujourd’hui la réponse de la camarade : “je ne comprends pas de quoi tu parles”. D’une position d’écriture qui n’est pas la contemplation de retrait ni l’action nécessaire pour faire société. Un état passif qui conjugue regard, réflexion, désengagement. Y être sans en être. Condition de l’apparition de la société comme spectacle. Et pour revenir à l’étrangeté de la Suisse (et de toute événement d’une multitude organisée dont on ignore la routine), si la vision que j’en ai après ces jours passé en basse-ville de Fribourg est aussi désolée c’est que je m’étais donné pour tâche de faire société alors que je voyais à mesure que les règles pour ce faire me manquaient). A l’opposé, le récent voyage au Mexique, en solitaire, offrait une expérience bienheureuse du genre Scène et objets: assis, debout, courant, conversant, même me liant d’amitié, j’agissais sans conséquences, hors toute morale, aucune action n’étant suffisante pour m’immiscer dans une société qui n’était pas et ne deviendrait pas la mienne. Cet équilibre entre contemplation et participation est à la fois une expérience de solitude et une fusion par l’art, ce que décrit non sans la déjuger Anaïs Nin dans son Journal de Paris lorsqu’elle souligne le manque criant d’empathie d’Henry Miller pour qui toute rencontre, toute relation, toute personne, n’est jamais plus qu’un événement dont il s’agit de tirer un profit littéraire.
Sarine 5
Pas un “oui”. Des appels pénibles à passer, des réponses pénibles à encaisser. L’un des interlocuteurs: “qu’entendez-vous par auto-défense?”. Dehors, autour de la Motta, le travail continue: les fonctionnaires nettoient et nettoient. Cela me rappelle Wallenstadt dans les années 1990, seul et unique cours de répétition militaire, là aussi je comptais les heures et je me répétais: “cela existe-t-il? cela est-il possible?”
Sarine 4
Soirée avec Monami Chez Brigitte. Bière belge, épaisse, goûteuse, soûlante. La fille de Brigitte fait ses devoirs sur le comptoir. Envie de parler de Descartes, de Shakespeare, puisqu’elle révise de la philosophie, de l’anglais. Plus grande notre envie de spéculer que son envie d’apprendre. Anecdotes sur les examens de licence passés il y a quarante ans avec Monami, à Genève. Mémoires d’outre-tombe.
Sarine 3
Exercices de musculation sur le terrain de football de Grandes-Rames. Les ménagères apportent leur déchets triés, les comptent, les répartissent, les ménagères contribuent au futur. Dan une petite étagère entée sur un muret, des articles de jeux. Un famille ukrainienne vient jouer au ballon. Quand elle finit, elle range le ballon dans l’étagère municipale. Prochains appels téléphoniques à 13h30, ni ttop tôt ni trop tard, fin de la pause sandwich plus une demi-heure, le respect de l’horaire. Cet après-midi, au tour du canton de Neuchâtel: Fit-joy, Super-fit, Gymnase 2000. “Bonjour (Madame ou Monsieur, selon l’identification de la voix qui répond), je vous appelle de la part de la société fribourgeoise…”. A quelle heure peut-on commencer à boire, boire pour se saouler, pour faire disparaître la pluie?