Lac 5

Au parc de Mont­benon, sous le Palais de jus­tice, sur un banc longiligne, et j’é­tais encore au col­lège, je mon­trai un jour à Patri­cia mon texte Scène avec objets, pages imag­inées et écrites sur le banc longiligne, en par­tie haute de ce lieu d’ar­chi­tecte d’où le badaud prend vue sur le Léman. Le thème de ce texte sem­blait évi­dent : lorsque l’on observe dans un état d’im­mo­bil­ité les gens faire société on ne com­prend ni ce qu’ils font ni à quoi cela rime. Me revient aujour­d’hui la réponse de la cama­rade : “je ne com­prends pas de quoi tu par­les”. D’une posi­tion d’écri­t­ure qui n’est pas la con­tem­pla­tion de retrait ni l’ac­tion néces­saire pour faire société. Un état pas­sif qui con­jugue regard, réflex­ion, désen­gage­ment. Y être sans en être. Con­di­tion de l’ap­pari­tion de la société comme spec­ta­cle. Et pour revenir à l’é­trangeté de la Suisse (et de toute événe­ment d’une mul­ti­tude organ­isée dont on ignore la rou­tine), si la vision que j’en ai après ces jours passé en basse-ville de Fri­bourg est aus­si désolée c’est que je m’é­tais don­né pour tâche de faire société alors que je voy­ais à mesure que les règles pour ce faire me man­quaient). A l’op­posé, le récent voy­age au Mex­ique, en soli­taire, offrait une expéri­ence bien­heureuse du genre Scène et objets: assis, debout, courant, con­ver­sant, même me liant d’ami­tié, j’agis­sais sans con­séquences, hors toute morale, aucune action n’é­tant suff­isante pour m’im­mis­cer dans une société qui n’é­tait pas et ne deviendrait pas la mienne. Cet équili­bre entre con­tem­pla­tion et par­tic­i­pa­tion est à la fois une expéri­ence de soli­tude et une fusion par l’art, ce que décrit non sans la déjuger Anaïs Nin dans son Jour­nal de Paris lorsqu’elle souligne le manque cri­ant d’empathie d’Hen­ry Miller pour qui toute ren­con­tre, toute rela­tion, toute per­son­ne, n’est jamais plus qu’un événe­ment dont il s’ag­it de tir­er un prof­it littéraire.