Mois : avril 2022

Distance

Arrivé dans le quarti­er sous-gare avec appréhen­sion. A Minorque, je reçois des cour­ri­ers de men­aces. Mon­frère me con­fisque les clefs des bureaux, coupe mon mail pro­fes­sion­nel, radie mon inscrip­tion auprès des assur­ances, déclar­era volée ma voiture. Devant la porte du mag­a­sin, j’hésite. Tout de même j’ai pris garde d’aver­tir Mamère au cas où je devrais dormir dehors. Non pour qu’elle me reçoive, mais pour met­tre en per­spec­tive les con­séquences. Lesquelles? Je ne sais. Mais la rage est con­seil­lère. C’est de fait ce qui motive chez Mon­frère ces exac­tions. Ecarter depuis avril 2020 de la direc­tion de l’en­tre­prise au motif que mes vues ne sont pas les bonnes — ce qui exige débat et vote — je finis, deux ans plus tard, par porter plainte. D’où ce pro­jet de grande con­fis­ca­tion. Et ce men­aces dont une par­tie déjà mis­es à exé­cu­tion: licen­ciement, inter­dic­tion de com­mu­ni­quer avec les employés, les clients. Con­sciente de mon état d’én­erve­ment, Gala m’ac­com­pa­gne. Ma clef ouvre la porte. J’ai oublié de dire que j’ai dans la cham­bre arrière du mag­a­sin; une par­tie de mes vête­ments, mon argent et mon vélo de voy­age. Dans la poche d’un pan­talon, les clefs de la voiture. Sans elles, impos­si­ble de ren­tr­er à Agrabuey. Nous aval­ons un litre de bière, Gala me quitte. Elle veut que je la tienne au courant heure par heure, espère me faire chang­er d’avis quant au départ, mais non: je suis con­va­in­cu de pren­dre la route le lun­di avant les déplace­ments de Pâques. Réflexe dès que je me retrou­ve seul: organ­is­er, véri­fi­er que rien ne manque, sor­tir des armoires ce qui peut l’être. A la fin, il ne reste que le lit design de l’an­cien apparte­ment de Gam­bach-Fri­bourg, un sec­ond et un troisième vélo et un XXX. Je me couche, je dors mal, je suis réveil­lé à sept heure, comme le reste du quarti­er par les ouvri­ers qui marchent sur les toits envi­ron­nants et frap­pent, et cri­ent, occupés à un chantier d’en­ver­gure qui vaut aux priv­ilégiés de cet excel­lent quarti­er lau­san­nois de vivre dans le bruit depuis l’an dernier et pour encore cinq ans.

Saisie

De même que je ne me com­prends qu’après avoir dit, je ne vois les lieux com­plète­ment qu’après les avoir imaginés.

Creuset

Retour pré­cip­ité dans ce mai­gre couloir d’en­fer qui relie par le train Genève au quarti­er sous-gare de Lau­sanne. A bord du direct, une famille d’Anglais venue pour le ski, deux Mex­i­cains au corps de poulpe qui se baisent sur la bouche et un aimable polici­er que j’aide à hiss­er son sac de para­pen­tiste, un juste éven­tail des con­quêtes de la mon­di­al­i­sa­tion. Ver­rouil­lé dans l’ar­rière-bou­tique, je compte les heures qui me sépar­ent du pas­sage de fron­tière direc­tion la Navarre.

Vision

Dans le demi-som­meil, je compte les coups au cam­panile, l’église des moni­ales d’Es Castell sonne huit heures. Le rêve reprend: sta­tion de ski, j’alerte mes amis, val­lée d’en face la paroi rocheuse s’ef­fon­dre; les blocs de pierre arrachent les maisons de leur socle, elles tombent dans le vide, les vic­times affolées cherchent des rescapés. Trois heures plus tard, je con­duis Gala aux hasards de la route. Nous aboutis­sons dans une crique que con­tient de hautes falais­es. Au pied de celles-ci, dans les anfrac­tu­osités supérieures mais aus­si sur l’aplomb, des vil­las en équili­bre. Gala à qui je n’ai pas dit un mot de mon rêve : “la paroi s’ef­fon­dre, tout est emporté”.

Cala

Qui en espag­nol, en cata­lan (?) sig­ni­fie “crique”. Routes et chemins bifurquent à par­tir de la Menor­ca 1 qui tra­verse l’ìle de part en part. Elles amè­nent dans les ter­res. Champs divisés par des ser­pentins de pierre vol­canique, cac­tus, phares, vach­es, mou­tons. Des tumu­lus aus­si ou instal­la­tions préhis­toriques, nom­més Talati, amon­celle­ment demi-savant de pier­res dressées au milieu de la lande et vis­ités des excur­sion­nistes, “poblat ” qui pour un pro­fane, avouons-le, ne ressem­blent à rien sinon à des rêves d’épo­ques meilleures. De Mahon la cap­i­tale à Ciu­tadel­la, ville aux ruelles flo­ren­tines, ville ocre, il y a donc cinquante kilo­mètres que nous avons par­cou­ru deux fois cette semaine à bord de la Fiat 500 pour manger un bœuf à la braise (ras­sis 45 jours) dans les soubasse­ments du moulin des Con­te. Ce matin, à Cala en Porter, vil­lage blanc per­ché sur une falaise, vil­lage neuf en attente des vacanciers de Pâques, baig­nade en eaux froides sous les regards d’une famille bri­tan­nique. Début de soirée, je me regarde dans le miroir et prend en hor­reur ces rou­fla­que­ttes façon Léo Fer­ré 1980. Recherche d’un coif­feur à Es Castell. Reto­qué, halte quo­ti­di­enne à l’épicerie dont je fais grimper le chiffre d’af­faires au poste “bières”. Là, dans la cham­bre du Vic­tori, claire et chaude. Demain, pas­sage par la Suisse. 

Circulum

Un rela­tion amoureuse com­mencée dans un bar, au sein des familles, en voy­age a toutes les chances de finir dans les mêmes cir­con­stances, mais en out­re, recul pris, on voit qu’elle se sera sou­vent dévelop­pée en répé­tant la sit­u­a­tion de départ, famille, bar, voy­age, comme s’ils étaient pour les amoureux le point d’in­er­tie incon­tourn­able de la relation.

François

Si Dieu exis­tait, il aurait honte de son vicaire le Pape.

Homme-série

Que les séries de télévi­sion soient pro­duites par des robots… Mais qu’elles pro­duisent des robots?

Intervention

Hôtel Vic­tori, le dou­ble-volet claque. La femme de ménage dit: “mon chef va venir avec une échelle”. Le mer­cre­di, à l’aide d’un lacet de chaus­sure, Gala que je tiens par la taille au-dessus du vide, immo­bilise le volet.

Mahon

Qua­torze pas­sagers à bord de l’air­bus Genève-Minorque. Il pleut au départ, il pleut à l’at­ter­ris­sage. Côté espag­nol, en sor­tie d’aéro­port, des Sud-Améri­cains vêtus de com­bi­naisons Tch­er­nobyl scan­nent nos codes de malades-bien por­tants, puis c’est le silence: bâti­ments récurés, rideaux de fer, cafe­te­rias éteintes, tables sous linceuls. Une cou­sine de Naypyi­daw, la ville bir­mane sans humains. Il est vrai qu’il n’est que dix heures, que la pluie et la sai­son, et la crise… Un taxi nous con­duit à Es Castells, anci­enne ville de gar­ni­son au débouché du port de Mahon. Les rues et les immeubles sont aveu­gles, les gira­toires courts et luisants, il y a de généreux palmiers, des murs de pierre ances­traux divisent les prés d’herbe. L’hô­tel trou­vé, il est élec­tron­ique (j’ai réservé en ligne). Un code pour déblo­quer la porte d’en­trée, un autre pour déblo­quer la porte de la cham­bre, un troisième pour déblo­quer les deux pre­miers. “Il vous sera envoyé par Wat­t’s­app au plus vite” explique la femme de ménage mol­dave, l’u­nique respon­s­able du Vic­tori. Cette aimable Mol­dave fait office de secré­taire, de garde, de ser­vice d’é­tage et de con­seil­lère et comme Gala se prénomme Gala. Nous prenons le café et du pain à la tomate chez la famille qui tient la boulan­gerie du quarti­er. Nous nous met­tons au lit, nous dormons.