Distance

Arrivé dans le quarti­er sous-gare avec appréhen­sion. A Minorque, je reçois des cour­ri­ers de men­aces. Mon­frère me con­fisque les clefs des bureaux, coupe mon mail pro­fes­sion­nel, radie mon inscrip­tion auprès des assur­ances, déclar­era volée ma voiture. Devant la porte du mag­a­sin, j’hésite. Tout de même j’ai pris garde d’aver­tir Mamère au cas où je devrais dormir dehors. Non pour qu’elle me reçoive, mais pour met­tre en per­spec­tive les con­séquences. Lesquelles? Je ne sais. Mais la rage est con­seil­lère. C’est de fait ce qui motive chez Mon­frère ces exac­tions. Ecarter depuis avril 2020 de la direc­tion de l’en­tre­prise au motif que mes vues ne sont pas les bonnes — ce qui exige débat et vote — je finis, deux ans plus tard, par porter plainte. D’où ce pro­jet de grande con­fis­ca­tion. Et ce men­aces dont une par­tie déjà mis­es à exé­cu­tion: licen­ciement, inter­dic­tion de com­mu­ni­quer avec les employés, les clients. Con­sciente de mon état d’én­erve­ment, Gala m’ac­com­pa­gne. Ma clef ouvre la porte. J’ai oublié de dire que j’ai dans la cham­bre arrière du mag­a­sin; une par­tie de mes vête­ments, mon argent et mon vélo de voy­age. Dans la poche d’un pan­talon, les clefs de la voiture. Sans elles, impos­si­ble de ren­tr­er à Agrabuey. Nous aval­ons un litre de bière, Gala me quitte. Elle veut que je la tienne au courant heure par heure, espère me faire chang­er d’avis quant au départ, mais non: je suis con­va­in­cu de pren­dre la route le lun­di avant les déplace­ments de Pâques. Réflexe dès que je me retrou­ve seul: organ­is­er, véri­fi­er que rien ne manque, sor­tir des armoires ce qui peut l’être. A la fin, il ne reste que le lit design de l’an­cien apparte­ment de Gam­bach-Fri­bourg, un sec­ond et un troisième vélo et un XXX. Je me couche, je dors mal, je suis réveil­lé à sept heure, comme le reste du quarti­er par les ouvri­ers qui marchent sur les toits envi­ron­nants et frap­pent, et cri­ent, occupés à un chantier d’en­ver­gure qui vaut aux priv­ilégiés de cet excel­lent quarti­er lau­san­nois de vivre dans le bruit depuis l’an dernier et pour encore cinq ans.