Mois : avril 2022

Rêve

Joe Biden dort assis. Je toque sur son crâne: “réveillez-vous Mon­sieur Biden, réveillez-vous!”. Il ouvre les yeux, regarde devant lui. “Vous êtes réveil­lé?”. Lui: “Com­ment? Oui. Que se passe-t-il?”. Moi: “Pen­dant que vous dormiez, une guerre a éclaté en Ukraine!”.

Agrabuey

Vil­lage sous une pluie drue. Pavé inondé. Le vent souf­fle l’eau des fontaines. J’al­lume le feu, je relance la chaudière à mazout. Le paysan : “Ah, te voilà!”. Je demande si les gens vont arriv­er. “Il hoche la tête: nous avons encore quelques heures de calme. Après, c’est Pâques.”

Rétrovision

Ne me vois plus comme une per­son­ne recom­mand­able. Au sens où ma vision du monde est peu adap­tée au monde; au sens où je pour­rais, à chaque instant, dérap­er; au sens enfin où mon approche rationnelle du faire en société me donne l’en­vie d’exclure.

Kilomètre 1200

L’en­nui de cette autoroute qui relie Toulouse à Pau. L’au­to­mo­biliste livre bataille le long du Rhône. Quand il com­mence à longer les Pyrénées, il se croit ren­du. Or, val­lées et collines se suc­cè­dent. Et encore et encore. C’est là que je coupe la musique et allume la radio. Emis­sion sur la réécri­t­ure de la Con­sti­tu­tion tunisi­enne, expo­si­tion Gau­di, front du Don­bass. Deux heures plus tard, j’at­teins Oloron-Sainte-Marie, ville étran­glée par ses gira­toires. Au qua­torz­ième gira­toire, le super­marché où je fais le plein de pro­duits avant le pas­sage de la fron­tière espag­nole. Dans la liste stan­dard, une côte de bœuf de 800 grammes. Aujour­d’hui, pas l’en­vie. Avec les prob­lèmes que causent les col­lègues, la tête est lourde, l’estom­ac en retrait. Le cabas à moitié-vide, je vais pour pay­er. Cinquante mètres de caiss­es, une seule employée. Que j’in­ter­pelle. Elle n’y peut rien. Si elle appelait des ren­forts? Elle ne peut pas. Soit. Je prends la file. Cal­cule les quan­tités rangées dans les cad­dies des femmes qui me précè­dent. Une alerte atom­ique serait-elle en cours? Pourquoi ces ménagères achè­tent-elles de quoi nour­rir un zoo? Je leur souris. Encore. Je force. Mon masque est inquié­tant (aigles albanais sur fond rouge). Puis je viens de réclamer des ren­forts. Désireux de ras­sur­er com­plète­ment (mul­ti­pli­ca­tion des fous en France), j’en­gage une con­ver­sa­tion avec ma voi­sine. Bonne idée car l’at­tente va être longue. Lorsque c’est enfin mon tour, survient une petite vielle: “vous per­me­t­tez?”. Je l’en prie. Elle pose son sac à terre, se baisse pour saisir des paque­ts de sucettes glacées. Je veux l’aider. Elle ne veut pas. J’in­siste. Elle veut bien. Alors, elle dit : “vous savez, j’ai 98 ans”. J’ad­mire. Elle répète: “98 ans”. Elle demande : “com­ment en arrive-t-on a avoir 98 ans?”. Une fois les glaces sur le tapis roulant de la caisse, elle m’ex­plique. Tout le monde écoute. “Le secret, dit la petite vielle, vient d’Es­pagne. Voyez-vous, les Français ne con­nais­sant rien à la médecine chi­noise”. Je suis pressé, j’ai chaud, je sue — j’é­coute. Dire le secret ne suf­fit pas. La petite vieille me fait join­dre les pieds, reculer con­tre une paroi imag­i­naire et lever les bras. Les clientes aux cad­dies nucléaires regar­dent. “Alors voilà, fait la petite vieille, cela tous les matins, dans cette posi­tion, vous comptez jusqu’à douze”. Je dis : “je vais essay­er, je vous racon­terai la prochaine fois que nous nous crois­erons”. Elle pré­cise: “je vous ai appris ce secret pour vous remerci­er de m’avoir laiss­er pass­er avec mes glaces, je voulais vous don­ner quelque chose”. Et à nou­veau: “vous savez, j’ai 98 ans”. Une ménagère sort de la file. Elle lance: “vous ne seriez pas Madame Chenau, la dame des chaus­sures?”. La vieille: “c’est moi, mais le mag­a­sin de chaus­sures c’é­tait mon père et les glaces, là, ce sont pour mes petits-fils, enfin je dis petits, mais ils sont à la retraite main­tenant !”. Sur ces entre­faites, je remonte en voiture, roule dans les gira­toires, quitte le plateau d’Oloron pour la route du col, m’aligne der­rière trois poids-lourds. 

Léautaud

Qui à pro­pos d’une con­ver­sa­tion avec Rémy de Gour­mont, comme il est sur le point d’ex­primer son opin­ion, note : “Je me suis retenu à temps, heureuse­ment, grâce à l’habi­tude que j’ai de réfléchir très rapi­de­ment à tout ce que je dis, avant de le dire.”

Kilomètre 600

A l’é­tape de Sète, l’hô­tel plas­tique. Con­di­tions meilleures que l’an dernier: il est pos­si­ble de tra­vers­er jusqu’au super­marché sans masque, d’en­tr­er faire ses achats vis­age nu. Pour le souper, mets iden­tiques et dans l’or­dre: bière, chips, pain, char­cu­terie, rémoulade de céleri. Côté réser­va­tions de la cham­bre-cap­sule, je suis déçu. J’ai appelé la récep­tion, j’e­spérais tomber sur Didi­er ou Philippe, mes con­tacts. Or, je m’an­nonce et après avoir dit mon nom, je demande “à qui est-ce que je par­le?”. Un silence, puis ce ton méfi­ant : “… à l’employé.” J’ex­plique mon affaire, dis “Philippe”, “Didi­er”. Abrupt, sans sourire dans la voix, l’in­ter­locu­teur: “eux, ce sont les patrons”. Voilà pour la communication. 

Route

Excel­lente. Lisse, large, lumineuse. Jamais si peu de traf­ic. Même les poids-lourds se font rares. Au péages, chants des oiseaux. Après Valence, la den­sité est plus grande, mais là encore incom­pa­ra­ble avec ce que je ren­con­tre depuis cinq ans en direc­tion de Pau, sans par­ler des années 1990, lorsque je me rendais avec les enfants dans le Gers. Musiques préen­reg­istrées et con­traires: folk gémis­sant ou tech­no minimal. 

Distance 3

L’employé de Lau­sanne, ric­tus au vis­age, ennuyé, cher­chant ses phras­es. Moi de même, l’air de don­ner le change. Il ne com­prend pas. Or, celui-là, n’est pas directe­ment sous mes ordres. L’autre, mon col­lègue de Fri­bourg, choqué, trem­blait. Midi, je prends la route.

Distance 2

Clefs de la voiture en place, dans mes poches de pan­talon. La voiture, elle, est garée sur le ter­rain de la ferme famil­iale, à trente kilo­mètres de Lau­sanne. Je me pré­pare à aller la chercher à vélo quand Mamère appelle. Elle pro­pose de m’emmener. Lorsqu’elle arrive au mag­a­sin, je demande où sont les télé­com­man­des de la bar­rière qui ferme notre place de sta­tion­nement privée, juste à côté du mag­a­sin (le bureau). “Ren­dues au pro­prié­taire, me dit-elle, nous n’avons plus la place”. Le lende­main matin, tan­dis que je charge à l’aide d’un dia­ble mes affaires dans la voiture garée au bout du Boule­vard, j’aperçois l’employé qui active la bar­rière et gare la four­gonnette de service.

France

Les prési­den­tielles n’in­téressent que que les présidentiables.