Alors que nous partageons la paella sur le bord de la rivière, la conversation va sur les villages de l’autre côté de la frontière. L’un vante les marchés festifs de l’été, un autre donne l’adresse d’une fermière qui met le pâté en conserve, une troisième parle d’une vallée qui offre tout le charme de la France. Passe un jeune homme. Il salue. Les Espagnols répondent. Il s’en va. Mon voisin: “un gamacho!” (ce qui signifie quelque chose comme, un “frouze!”). Hésitation autour de la table. Le même voisin me désigne aux autres: “non, non… Lui parle français, mais il n’est pas français!”.
Mois : janvier 2022
Nouveau roman
Claude Ollier, Cahiers d’école. Des notes prises dans les années 1950, lorsque l’écrivain est fonctionnaire en Algérie. Un “écrivain pour écrivain” qui à l’occasion de ce texte parle “écriture”. La manière est avant tout descriptive puisqu’il s’agit de coller à l’esthétique du nouveau roman, ce qui se traduit par une exemption calculée des épithètes psychologisants. Ollier dit: “l’angle supérieur de la serviette dépassait un peu le plateau de table fait d’un bois jaune et vieilli”. J’invente, le livre est resté à la maison et je suis à l’hôtel à Pampelune. Ce que Ollier ni ses camarades militants, l’érudit Butor ou le théoricien Robbe-Grillet, du moins à l’poque de mise en place du programme, n’écrit pas c’est — pour faire référence au personnage de mon livre Sosiété c’est : “Pour Vernon, le rouge était une couleur forte, essentielle”. Quelle différence? Le point de vue. Quelle différence? De mon point de vue: la dévitalisation du propos. Car à lire ces notes, je m’aperçois bientôt que je saute les descriptions et perds de fait tous les rapports sur l’Algérie que voulaient transmettre ces notes. Peut-être la faute en incombe-t-elle à l’objet des notes — les oueds, les scorpions, les médines, la chaleur — mais non. Plus tard, les notes nous emmènent à New-York. L’auteur a obtenu une bourse d’art, il voyage aux côté de Francisco Arrabal et Hugo Claus, rencontre Allen Ginsberg et les derniers surréalistes, les peintres et les cinéastes de Manhattan. Or, il n’en dit rien sinon qu’ils sont grands, bruns, petits, aimables, distants, bizarres, font ceci ou boivent cela. Pour parler d’Amérique, je serais curieux de savoir si la psychologie behavioriste alors naissante a eu son influence sur le nouveau roman et si d’aventure cette influence était consciente. Il faut que je songe à lire le Projet pour un révolution à New-York (magnifique titre) de Robbe-Grillet. Pour ce dernier, il me semble que par opposition à Ollier dans ses notes, avec la série du Miroir qui revient, il met en abîme son système et réinjecte du subjectivisme, plus particulièrement en recourant à la technique baroque des points de vue multiples et déformants.
Col
Il est en impasse, à mil cinq cent mètres et je grimpe à petite vitesse entre deux murs de neige molle. Je prévoyais un rendez-vous en mairie de Fecho pour la documentation sur les grottes; il est annulé. Or, j’avais prévu de m’y rendre à vélo. Frustré, je roule dans la même direction, je dépasse la mairie, emprunte un premier col, me fond dans la vallée, emprunte un second col, remonte le cours de la rivière, vais-je continuer? Je consulte le compteur, quarante deux kilomètres déjà — il faudra les parcourir dans l’autre sens après avoir atteint le col de mil cinq cent mètres. Qui me paraît, mesuré en termes d’efforts, plus dur que dans le souvenir. Ajoutons que je ne suis pas revenu sur ce versant depuis la fin de l’été, que sur le bord de mer andalou je n’ai fait que courir et que j’emmène ce matin mon vélo de voyage qui pèse deux fois le poids du vélo de course. Arrivé au sommet — petit sommet, espagnol, ce ne sont pas nos Alpes — je me photographie au milieu des skieurs de fond, avale un liquide rouge, mâche une barre, dévale sept kilomètres. Là, au village perché de Aragouïs, je lève les yeux. Posé sur le sommet que je dois franchir, un nuage. Devant moi, assoupies dans le dernier soleil, deux vaches. Je démarre, elles s’enlèvent. Plus loin, une fille qui marche seule. Puis le silence des pins et les roues qui tournent (7 km/h sur une pente à 12%). Pour avoir souffert de ce bitume défoncé, je crains de souffrir encore. Miracle, j’atteins en moins de trente minutes mon nuage, à peine haletant, incrédule, plus qu’incrédule revigoré!