Mois : janvier 2022

Patriotisme

Alors que nous parta­geons la pael­la sur le bord de la riv­ière, la con­ver­sa­tion va sur les vil­lages de l’autre côté de la fron­tière. L’un vante les marchés fes­tifs de l’été, un autre donne l’adresse d’une fer­mière qui met le pâté en con­serve, une troisième par­le d’une val­lée qui offre tout le charme de la France. Passe un jeune homme. Il salue. Les Espag­nols répon­dent. Il s’en va. Mon voisin: “un gama­cho!” (ce qui sig­ni­fie quelque chose comme, un “frouze!”). Hési­ta­tion autour de la table. Le même voisin me désigne aux autres: “non, non… Lui par­le français, mais il n’est pas français!”. 

The Stranglers

Quar­ante trois ans après la paru­tion du Black and White album, j’é­coute avec le même plaisir Dark Mat­ters sor­ti ces jours.

Electronique

Dans la langue des mes­sageries rapi­des, plus de ponc­tu­a­tion, plus de pause, il faut faire court car l’on est con­stam­ment à bout de souffle.

Grippe 2022

Pour met­tre à l’ar­rêt le vivant et détru­ire l’e­sprit de toute une société, il faut que se con­juguent deux fac­teurs: une poignée de mal­faisants qui intrigue pour sus­pendre les lib­ertés et une majorité de névrosés qui se réjouis­sent de voir sus­pendues leurs libertés.

Postérieur

Béz­abel, me dit-on, cherche un homme. Elle s’in­téresse à ce que je suis. Or, elle n’a jamais voulu couch­er quand j’é­tais jeune et beau, quand elle était jeune et belle. Pourquoi le voudrait-elle désormais?

Nouveau roman

Claude Ollier, Cahiers d’é­cole. Des notes pris­es dans les années 1950, lorsque l’écrivain est fonc­tion­naire en Algérie. Un “écrivain pour écrivain” qui à l’oc­ca­sion de ce texte par­le “écri­t­ure”. La manière est avant tout descrip­tive puisqu’il s’ag­it de coller à l’esthé­tique du nou­veau roman, ce qui se traduit par une exemp­tion cal­culée des épithètes psy­chol­o­gisants. Ollier dit: “l’an­gle supérieur de la servi­ette dépas­sait un peu le plateau de table fait d’un bois jaune et vieil­li”. J’in­vente, le livre est resté à la mai­son et je suis à l’hô­tel à Pam­pelune. Ce que Ollier ni ses cama­rades mil­i­tants, l’éru­dit Butor ou le théoricien Robbe-Gril­let, du moins à l’poque de mise en place du pro­gramme, n’écrit pas c’est — pour faire référence au per­son­nage de mon livre Sosiété c’est : “Pour Ver­non, le rouge était une couleur forte, essen­tielle”. Quelle dif­férence? Le point de vue. Quelle dif­férence? De mon point de vue: la dévi­tal­i­sa­tion du pro­pos. Car à lire ces notes, je m’aperçois bien­tôt que je saute les descrip­tions et perds de fait tous les rap­ports sur l’Al­gérie que voulaient trans­met­tre ces notes. Peut-être la faute en incombe-t-elle à l’ob­jet des notes — les oueds, les scor­pi­ons, les médines, la chaleur — mais non. Plus tard, les notes nous emmè­nent à New-York. L’au­teur a obtenu une bourse d’art, il voy­age aux côté de Fran­cis­co Arra­bal et Hugo Claus, ren­con­tre Allen Gins­berg et les derniers sur­réal­istes, les pein­tres et les cinéastes de Man­hat­tan. Or, il n’en dit rien sinon qu’ils sont grands, bruns, petits, aimables, dis­tants, bizarres, font ceci ou boivent cela. Pour par­ler d’Amérique, je serais curieux de savoir si la psy­cholo­gie behav­ior­iste alors nais­sante a eu son influ­ence sur le nou­veau roman et si d’aven­ture cette influ­ence était con­sciente. Il faut que je songe à lire le Pro­jet pour un révo­lu­tion à New-York (mag­nifique titre) de Robbe-Gril­let. Pour ce dernier, il me sem­ble que par oppo­si­tion à Ollier dans ses notes, avec la série du Miroir qui revient, il met en abîme son sys­tème et réin­jecte du sub­jec­tivisme, plus par­ti­c­ulière­ment en recourant à la tech­nique baroque des points de vue mul­ti­ples et déformants.

Mutatis mutandis

L’Eglise fait appa­raître l’in­vis­i­ble, le pou­voir fait dis­paraître le visible.

Coutume

Le serveur sonne la cloche quand il reçoit un pourboire.

Futur simple

Devant une librairie qui offre en vit­rine de beaux vol­umes d’an­cien. Je m’ap­proche pour lire les titres, on me tire par la main: “tu ne vas pas t’in­téress­er à des livres tout de même!”. 

Col

Il est en impasse, à mil cinq cent mètres et je grimpe à petite vitesse entre deux murs de neige molle. Je prévoy­ais un ren­dez-vous en mairie de Fecho pour la doc­u­men­ta­tion sur les grottes; il est annulé. Or, j’avais prévu de m’y ren­dre à vélo. Frus­tré, je roule dans la même direc­tion, je dépasse la mairie, emprunte un pre­mier col, me fond dans la val­lée, emprunte un sec­ond col, remonte le cours de la riv­ière, vais-je con­tin­uer? Je con­sulte le comp­teur, quar­ante deux kilo­mètres déjà — il fau­dra les par­courir dans l’autre sens après avoir atteint le col de mil cinq cent mètres. Qui me paraît, mesuré en ter­mes d’ef­forts, plus dur que dans le sou­venir. Ajou­tons que je ne suis pas revenu sur ce ver­sant depuis la fin de l’été, que sur le bord de mer andalou je n’ai fait que courir et que j’emmène ce matin mon vélo de voy­age qui pèse deux fois le poids du vélo de course. Arrivé au som­met — petit som­met, espag­nol, ce ne sont pas nos Alpes — je me pho­togra­phie au milieu des skieurs de fond, avale un liq­uide rouge, mâche une barre, dévale sept kilo­mètres. Là, au vil­lage per­ché de Aragouïs, je lève les yeux. Posé sur le som­met que je dois franchir, un nuage. Devant moi, assoupies dans le dernier soleil, deux vach­es. Je démarre, elles s’en­lèvent. Plus loin, une fille qui marche seule. Puis le silence des pins et les roues qui tour­nent (7 km/h sur une pente à 12%). Pour avoir souf­fert de ce bitume défon­cé, je crains de souf­frir encore. Mir­a­cle, j’at­teins en moins de trente min­utes mon nuage, à peine hale­tant, incré­d­ule, plus qu’in­cré­d­ule revigoré!