Mois : mai 2021

Samedi

Une pluie fine arrose sur la table de mar­bre mes avo­cats. Les hiron­delles rasent les murs de pierre. En cui­sine, je fris du cur­ry de Madras, pré­pare un poulet-bas­mati. Tout à l’heure, je reprendrai les cor­rec­tions de Sosiété que j’e­spère finir de révis­er ce soir. Trêve de sport ce dimanche, j’ai remon­té hier le col de Som­port jusqu’en France. Au pas­sage de la douane fan­tôme, comme j’al­lais devant Ale­jan­dro (pul­sa­tions 155 pour 13 km/h et 8% de pente), je cause avec un cou­ple de Teru­el qui dit: “nous sommes là pour la route du Saint-Graal”, et d’en­tre­pren­dre l’his­toire mys­tique du divin pro­duit que je con­nais puisque cela con­cerne aus­si Agrabuey. Au retour, apéri­tif dans la rue: tous les voisins sont là, le vendeur de pein­ture, l’a­bat­teurs de mou­tons, le vétéri­naire, le guide de mon­tagne, la géo­logue. J’ap­porte mes bouteilles de bière, le paysan coupe du Ser­ra­no, sa femme me tend une chaise de paille. 

Ecologie

Il faut être naïf ou cynique pour croire que l’é­colo­gie est com­pat­i­ble avec le cap­i­tal­isme, du moins dans sa phase actuelle. Nous avons donc affaire à un coup d’é­tat interne au cap­i­tal con­tre le droit des individus.

An 2 (XXIX)

L’Eu­rope donc le monde se fer­ment. Face à un choix con­traint, telle est la ques­tion (à laque­lle je réponds sans hésiter) : serai-je à l’in­térieur ou à l’ex­térieur de la fer­me­ture? Les uns sur­vivront, les autres, quoique dans le péril et peut-être sans trop de longévité, comme on vivait vivront.

An 2 (XXVIII)

Fatigué qu’on lui en demande tant et plus, le peu­ple vota la dic­tature (juin 2021). 

Sympathie

En France hier par le col de Som­port. Sta­tions de ski fan­tômes sur le ver­sant espag­nol, café panoramique fer­mé au pas­sage de fron­tière, longue descente à tra­vers les pacages et les forêts sèch­es. J’at­teins alors l’en­trée du tun­nel où sont postés les gen­darmes. Je fais signe, ils répon­dent. Je fais signe que je veux leur par­ler, ils coulis­sent la porte latérale du four­gon. Non, dis­ent-ils, mer­cre­di ce sera une autre équipe. Bien — mais je voudrais savoir si j’au­rai besoin d’un test (ne voulant pas faire ce que je ne veux pas faire, force est d’an­ticiper). Un cer­ti­fi­cat de tra­vail suf­fi­ra, répon­dent-ils, après quoi nous par­lons vélo. Le plus jeune est mon­té ce matin sur le col. Pour faire de la con­ver­sa­tion, je com­pare le ver­sant français au ver­sant espag­nol. “Je ne suis jamais allé de l’autre côté”, avoue-t-il. Remer­ciements, salut, j’en­fourche le vélo et com­mence l’as­cen­sion du retour, six cent mètres de dénivelé. Pen­dant les cinquante min­utes de mon­tée, je croise qua­tre fois la patrouille de gen­darmerie. Deux fois en direc­tion du som­met, deux fois en direc­tion de la val­lée, et chaque fois les gen­darmes ten­dent le pouce, agi­tent la main, klaxonnent. 

M.

Et un jour tu t’aperçois que pour éviter la merde il faut avoir com­pris que la merde n’est pas tou­jours visible.

Vie matérielle

Aujour­d’hui, j’ai lavé des draps, cuit un pain, changé un pneu de vélo, lis­sé de stuc un mur, rangé les albums Tintin, con­stru­it une cible de tir, allumé deux feux, étudié le mode d’emploi d’un bac à glace pour la Dodge, écouté Capra, rem­pli le réser­voir de mazout, nour­ri les oiseaux et décal­ci­fié ma paroi de douche. 

Ghettos

Mais non, me dis­ent afin de me ras­sur­er sur la sit­u­a­tion de Lau­sanne ma femme comme Mamère, lesquelles ne se par­lent pas mais ont peu ou prou le même âge: “si tu ne quittes pas ton quarti­er, c’est agréable!”

Truc

Je laisse mes sabots chi­nois sur la place du vil­lage avec un ruban de scotch car­rossier sur lequel est annoté: “suis par­ti faire du vélo, je reviens”. 

Trou

Ce dans quoi nous vivons, le vil­lage étant con­stru­it sur un fond, entre des parois de pierre arti­fi­cielle­ment plan­tées de pins (je le sais par le paysan, les sol­dats fran­quistes ont ense­mencé). Par­ti du seuil de ma Mai­son des Neiges — ain­si bap­tisée par les fon­da­teurs, ce que con­firme la plaque de faïence apposée sur le mur de façade — j’ai franchi trois fois de suite le col, mon­tée et descente, en une heure et quar­ante neuf min­utes. Les voisins qui me croisent sur la route en voiture : “tu fais quoi?”. Entre deux expi­ra­tions, je ris et salue. Passé huit heures, de retour devant la source prin­ci­pale du vil­lage, j’ai accu­mulé 1230 mètres de montée.