Mois : avril 2021

Notes

Je lisais hier les Papiers col­lés de Georges Per­ros — qui m’in­téres­saient, ne m’in­téressent plus, hor­reur des pos­es, plus encore des jeux de mots. Ceci cepen­dant qui est proche de mon sen­ti­ment: “ce n’est pas mourir que l’on veut, mais disparaître”.

An 2 (XIII)

Comme d’être per­du dans l’e­space alors que des affreux manip­u­lent les lois de la physique.

“Puertos”

Quit­ter le vil­lage à midi par le col du Saint-Graal. Je vais devant, A. est dans ma roue. Tou­jours ce dilemme : faut-il rouler avant de mon­ter à vélo, con­crète­ment don­ner des tours au disque de fonte du vélo sta­tique pour chauf­fer les jambes? Car la pre­mière pente est bru­tale. Ce matin, nous avons tranché, j’ai tardé, j’a­chetais chez l’épici­er ambu­lant (il gare son éven­taire sur la place les mer­cre­dis) de la laitue, de l’oignon et le reste de mon quo­ta habituel de légumes, il se fait tard, nous par­tons à froid. Et mon­tons à bonne allure trois cols. 10 km/h et même douze, treize, qua­torze. Les val­lées comme les som­mets sont entière­ment nôtres. Le soleil brille, le ciel s’ou­vre, les hêtraies tein­tent de vio­let les ver­sants des mon­tagnes. Je n’en finis pas de m’é­ton­ner: la région est peu peu­plée, mais depuis un an, elle est tout sim­ple­ment ren­due à elle-même. Par­fois un paysan passe au volant de son util­i­taire. Une fois l’heure, et encore. Lui aus­si s’ar­rête: nous regarde, s’é­tonne, salue. Sous­trait à la vitesse humaine, le monde retrou­ve sa beauté native. 

De l’avant

Les vies sont médiocres mais sou­vent suff­isantes. Ce que l’on entrevoit des pos­si­bil­ités ne sont que des pos­si­bil­ités. Si l’on devient, c’est parce que l’imag­i­na­tion nous attire comme nous attirent les gouffres.

Nuit…

…d’épou­vante. Deux heures d’in­som­nie puis l’en­dormisse­ment. Une femme en noir attaque, je riposte à coups de feu, me réveille — j’ai dor­mi deux min­utes (véri­fié sur la pro­jec­tion d’hor­loge dig­i­tale au pla­fond). Me ren­dors, hurle “maman!”, me réveille. A nou­veau deux min­utes. Cela qua­tre fois con­séc­u­tives. Puis deux fois, je hurle “papa!”. Là encore, deux min­utes. Moi qui pré­tend tiss­er des liens entre le diurne et le noc­turne, je suis démuni.

Hygiénisme

La folie est adv­enue en Occi­dent le jour où l’on a ordon­née aux hommes qui pos­sè­dent des chiens de ramass­er la merde et de la plac­er dans des con­den­sa­teurs à merde; ou plutôt, le jour où ils se sont exécutés.

Sortie

Par­ti ce matin sur les monts d’Aragon, autour du col de Mon­re­pos. N’é­taient-ce les cul­tures, on jur­erait le monde des temps prim­i­tifs. Eglis­es altières et ruinées sur les hau­teurs, riv­ières d’un bleu turquoise, trou­peaux lâchés, de vach­es blanch­es, de mou­tons blancs, de chèvres tout aus­si blanch­es, feule­ments sylvestres au pas­sage du vélo: per­son­ne en vue. Silence biblique. Sur les 72 kilo­mètres de route, je croise cinq voitures. Et j’en suis per­suadé, une chute peut val­oir la mort (il suf­fit de dégringol­er sous le niveau de vision) — j’aime beau­coup. Puis quel temps! Un ciel pro­fond, une lumière immense, la roche dure comme un silex. A chaque tour de roue, je me dis: mal­gré toute la merde que fab­riquent des frus­trés tech­nocrates pour l’a­bat­tre sur nos têtes, je n’ai jamais été aus­si indépen­dant, tout le jour et chaque heure. Cela me rap­pelle des hommes qui dés­espéraient, mais trou­vaient encore beau au milieu de ce dés­espoir ce qu’un homme peut admir­er dans la nature don­née, Georges Bernanos (au Brésil), Ivan Illitch (au Mex­ique), Bernard Tra­ven (de même, le Mex­ique), d’autres, plus ou moins con­damnés, ou intérieure­ment démo­lis (je pense sou­vent ces jours à Zweig). Tout de même, de retour à la ville — qui dor­mait la sieste, d’où un silence planant — j’é­tais épuisé. Dans la descente, j’imag­i­nais me ren­dre au super­marché pour pren­dre un poulet. J’ai renon­cé. Un pion péru­vien de la Rep­sol a rem­pli mon réser­voir pour 20 Euros d’essence et pris mon bil­let sans autre for­mal­ité, et ce sim­ple geste, ce geste sim­ple, m’a sem­blé telle­ment récon­for­t­ant, que je lui ai allongé un bon pour­boire. Puis je suis remon­té à Agrabuey, où là encore les voisins dormaient. 

Proximité

Solu­tions entre voisins, au vil­lage. Au soir, je buvais avec le maire devant le canal. Il a rénové ma mai­son. Ce matin, sa femme achète mon vélo de course. Peu avant qu’il ne ren­tre à Saragosse (le cou­vre-feu), j’amène mon autre voisin, vendeur de pein­tures indus­trielles dans la mai­son: il s’en­gage à me rap­porter le néces­saire le week-end prochain. Le paysan apporte des salades et du fro­mage. L’apicul­teur dis­tribue son miel. Avec le guide,  nous mon­tons un gym­nase dans la salle des fêtes. Tout à l’heure, le  jeune pho­tographe, inter­cep­té par la garde civile, écope d’une amende (port du masque): D., l’av­o­cat, pend en charge le recours.

An 2 (XII)

Mantra — le soir, au lit, et le matin, au réveil, et le jour, chaque fois que l’oc­ca­sion s’en présente, répétez, répétez: “moi, ils ne m’au­ront jamais!”. 

Liquidateurs

Ne pas con­fon­dre l’é­colo­gie comme hygiène du com­porte­ment humain dans son inter­ac­tion avec la nature et l’é­colo­gie comme out­il dis­cur­sif instru­men­tal­isé par la pré­da­tion cap­i­tal­iste. Tout politi­cien qui se réclame de l’é­colo­gie est un laquais à la sol­de de la liq­ui­da­tion des avoirs biologiques.