Quitter le village à midi par le col du Saint-Graal. Je vais devant, A. est dans ma roue. Toujours ce dilemme : faut-il rouler avant de monter à vélo, concrètement donner des tours au disque de fonte du vélo statique pour chauffer les jambes? Car la première pente est brutale. Ce matin, nous avons tranché, j’ai tardé, j’achetais chez l’épicier ambulant (il gare son éventaire sur la place les mercredis) de la laitue, de l’oignon et le reste de mon quota habituel de légumes, il se fait tard, nous partons à froid. Et montons à bonne allure trois cols. 10 km/h et même douze, treize, quatorze. Les vallées comme les sommets sont entièrement nôtres. Le soleil brille, le ciel s’ouvre, les hêtraies teintent de violet les versants des montagnes. Je n’en finis pas de m’étonner: la région est peu peuplée, mais depuis un an, elle est tout simplement rendue à elle-même. Parfois un paysan passe au volant de son utilitaire. Une fois l’heure, et encore. Lui aussi s’arrête: nous regarde, s’étonne, salue. Soustrait à la vitesse humaine, le monde retrouve sa beauté native.