La veine anarchiste chez Simone Weil (pour autant que l’on puisse en faire une lecture anarchiste, ce qui — j’imagine — n’est pas accessible au croyant) m’enthousiasme.
Mois : décembre 2020
Agrabuey-littérature
Arrivé à demeure il y a vingt-cinq jours, n’ayant plus rien d’urgent qui me sollicitait au-delà de l’appareillage de la nouvelle cuisine, peu dérangé par les routines, achat du bois, déblai de la neige ou livraison du mazout, je ne cessais de reporter mon choix. Ecrire ou attendre. Ecrire, mais quoi? Bien sûr, il faudrait — me disais-je — il faut, je pourrais, je pouvais et je peux toujours, mettre sur le papier, commencer de mettre sur le papier, ce travail d’enquête philosophique entrepris en juillet autour de Darwin, Calhoun (les rats de l’éthologie expérimentale) et Norbert Wiener, encore lui. Mais ce travail de réflexion traumatise. Il vous pêche le matin au saut du lit, ne vous lâche plus de la journée et vous poursuit toute la nuit, laquelle ne va pas sans accrocs. Plus encore dans la situation actuelle, cette merde programmatique qui nous tombe dessus, puisque c’est indirectement de cela dont il est, sera, pourrait être question. Donc, après avoir rangé 1000 kilos de bûches livrées par Marcos, le chasseur d’Araguís, j’ai ouvert un cahier chinois vert et j’ai écrit le premier chapitre de La table, histoire d’un Castillan du XVème siècle dont la couille gauche enfle si bien qu’il deviendra, devant le destin, et avec l’aide d’une rebouteux-alchimiste, un génie posthume de la “physique des mœurs” après avoir été repéré pour son talent: la construction de tables.
Dissonnance
Riches héritiers de l’Espagne, ces Aragonais sont portés au spectacle de la parole. Auquel ne saurait échapper aucun régime possible, pas même celui du contrat. Les artisans, les ouvriers, sans le savoir, illustrent en l’occurrence ce caractère “très peu catholique” qui permet des arrangements continus avec le réel. Avec la plus grande fermeté, Untel annonce son service, donne un prix, une date. Confirme deux fois sa venue, répète l’heure. Puis vient quand il veut, sans outils ni matériel, en chanson, ravi de vous trouver à domicile alors qu’il n’a pas averti. Fait un tour, l’air content. Enfin vous assure en toute bonne foi que le travail sera fait en heure et date, lesquels sont déjà passés.
Ordo
“Pourquoi les gens ne font-ils pas ce qu’on leur dit de faire?”. La question est partout. Et d’abord, retravaillée par les journalistes qui traduisent en bons féaux les propos des potentats du moment, dans les médias. Or, la question est: “pourquoi les gens font-ils ce qu’on leur dit?”. Sans remonter à Locke et Hobbes, donc au fondement moral du consentement politique — simple effet de constat donc — force est d’admettre que la majorité des injonctions, afin de souligner que je ne pointe pas seulement les mesures d’urgence prises à la faveur de la crise mais encore les lois, séparent à un tel degré l’individu de lui-même, neutralisent si bien son vœu, qu’il faut être aujourd’hui masochiste pour juger que faire selon le dire aide à se sortir du marasme.
Moyen génie
Quand je pense à Elon Musk, je pense adolescence et schéma de Ponzi. Il annonce que l’on peut faire rouler des voitures électriques à la vitesse voulue et le fait. Répète cela avec les camions. Théorise une réorganisation des flux urbain (les fameux tubes). Lance des satellites en hordes. Le rêve est commencé, les investisseurs se ruent. Puis le génie clame qu’il va conquérir Mars: les financiers exultent. En déliquescence, l’état lui confie des tâches majeures. Les entreprises Musk essuient les premiers échecs? Le génie en rajoute: “tel est le prix de l’audace!”. Ainsi vont le fantasme américain et le délire matérialiste, croyance simple, bêtise, superstition — je ne fais pas jugement de l’histoire de la technologie, mais des limites atteintes dans la financiarisation des ambitieux. Et prends le pari: ce génie, Elon Musk, un jour disparaîtra sans laisser de traces.
Atomes
Ce que montre cette affaire générale, ce malheur grandiose qui s’abat sur nos sociétés, lesquelles allaient d’un train ronflant et ne doutaient pas de la trajectoire, c’est qu’il n’y a aucun sens à survivre pour survivre, et moins encore dans la version hollywoodienne du “loup solitaire”. C’est vivre qu’il faut. Bouillir, remuer, refroidir, être et n’être pas dans son assiette, se laisser propulser et ralentir, être mené, ne pas être malmené. Cela n’est possible qu’au sein d’une communauté et c’est exactement ce que la technologie tente de liquider.
Consommation
Voilà un demi-siècle que l’on dit et répète, la liberté, c’est la liberté de consommer. Soudain, on s’entend dire, “vous allez de tout perdre”. Mais, ajoutent aussitôt les prophètes de la société, “noua allons faire en sorte de limiter la casse”. Chacun enfonce les mains dans les poches, se rassure quand à la valeur de la croyance et attend le miracle.