Mois : décembre 2020

Picaresque (3)

Paco, ou encore Maître Fran­cis­co, mon per­son­nage d’ébéniste à la couille enflée vit son des­tin à rai­son de trois ou qua­tre pages écrites chaque jour. Enfin réchap­pé de la chas­se à l’homme que menaient les com­pagnons, il est en forêt, dans un état lam­en­ta­ble, mange des glands et doute ne jamais pou­voir renouer avec sa pas­sion, la con­struc­tion de tables. 

Rêve

Classe d’é­cole, nous avons douze et qua­torze ans. Mon pupitre est devant. Je lève la main pour répon­dre à une ques­tion de la la maîtresse. “Non, il est inter­dit de par­ler français, dit-elle, ce sont les nou­velles règles”. Quand son assis­tante fait une remar­que en malais. Je ren­verse le pupitre, crie au scan­dale. La maîtresse appelle la police. Le con­stat fait, la police repart. La maîtresse reprend le cours. Je la gifle. Puis la con­sole. Elle est enceinte. Doit se ren­dre en Espagne. “Nous pour­rions nous enten­dre, lui dis-je, voulez vous que je vous con­duise?” Elle hésite. “Ma voiture est puis­sante. Et chère. Très chère” Com­bi­en? demande la maîtresse. “Très chère…”.

Foi

“Dieu, c’est ver­tu. Mais qu’est-ce que j’en­tends par là? Il faudrait définir; je n’y parviens pas. Je n’y parviendrai que par la suite. Mais déjà, j’au­rai beau­coup fait si j’en­lève Dieu de l’au­tel et mets l’Homme à sa place. Pro­vi­soire­ment je penserai que la ver­tu, c’est ce que l’in­di­vidu peut obtenir de meilleur de soi.” André Gide. Jour­nal, 1947

PPP (3)

Le guide racon­te: hier, l’opéra­tion de gen­darmerie dans la sta­tion de ski a débouché sur une dis­tri­b­u­tion mas­sive d’a­mendes. Les gens de la ville paient Euros 300.- puis sont som­més de déguer­pir. Or, me racon­te l’autre voisin, lui-même citadin, dans Saragosse, per­son­ne n’ayant le droit de franchir la lim­ite munic­i­pale, les sportifs, cyclistes ou coureurs s’en­tassent sur les quelques avenues à moin­dre traf­ic et les parcs, for­mant des longues queues, provo­quant des bous­cu­lades. Pour en revenir à la sta­tion, elle a fait le plein les pre­miers jours d’ou­ver­ture; après répres­sion, elle accuse un tiers de skieurs en moins, ceci dans une région qui vit des apports du tourisme de neige et dont les com­merces tour­nent au ralen­ti depuis un an.

Village (2)

Depuis le début de la semaine, je pose au jardin une assi­ette de graines. De la fenêtre du pre­mier étage, j’es­saie de voir les oiseaux. Il en vient deux, puis un. Puis encore lui, le même, recon­naiss­able à son ven­tre rouge. Avant-hier, à la faveur d’un moment de soleil, je sors écrire sur la table de mar­bre. L’oiseau s’en­v­ole, perche dans l’ar­bre, sif­fle. Je réponds. Il sif­fle. Je réponds. Ce matin, la neige cou­vre tout, assi­ette, table, chais­es longues (pas la place pour les ren­tr­er). Alors que je suis dans la rue, à l’op­posé du jardin, appa­raît l’oiseau à ven­tre rouge der­rière un angle de mur. Je l’aperçois, il s’en­v­ole vers le jardin, revient, recom­mence son manège.

Village

Il neige à gros flo­cons sur Agrabuey. Au milieu de la nuit, il était déjà tombé vingt cen­timètres (je lisais les notes de Gide datées de 1949, les dernières). Ce matin, les voisins se promè­nent. David déblaie la place, les chiens s’ébrouent, les enfants jet­tent des boules dans la riv­ière. Sur la pente de Puente, avec l’aide des mamans, les petits ont organ­isé une descente de luge. Le chas­seur Luis prend la pelle et fab­rique des sauts. Les pères accourent de maisons, s’es­saient à la luge. Par le Valle d’Arnos arrive Jorge à ski de fond, le maire rap­porte les san­gliers qu’il a tiré. Dans notre rue du Quarti­er des champs, le paysan coupe du “jamón”, sert du Somontano.

PPP (3)

Ici, dans les mon­tagnes espag­noles, des mil­i­taires armés con­trô­lent les noms, adress­es, numéros de télé­phone et domi­ciles légaux des skieurs qui font la queue devant les remonte-pentes. 

PPP (2)

Petit Per­son­nel de la Peur. Pas de mir­a­cle. Ces mil­i­taires et policiers, gar­di­ens et concierges, fonc­tion­naires de tout poil qui nous dis­aient “nous sommes au ser­vice du citoyen!”, en quelques mois se sont retournés pour aller se car­rer au pied des nou­veaux maîtres. 

PPP

Le soir, je rêve devant des cartes de géo­gra­phie. Maud­is la minorité qui a pris le con­trôle. Puis me ras­sure: ne rien croire de leurs mots, pass­er entre les mailles du filet, à pied, à vélo, en bus. 

A.D.

Amis, où je suis, il est 21h25. Dans à peine plus de deux heures, nous fêtons une nais­sance. Jésus, un isolé, un orig­i­nal. Un Juif en son désert, face au vide. Les rois con­fir­mants, la con­cep­tion immac­ulée, papa, maman en télé­pathie avec les ani­maux, fable et délire poli­tique des temps qui ont vu sur­gir cette fig­ure inat­ten­due et pas souhaitée. Le pou­voir — les pou­voirs — le liq­ui­da, endos­sa son mes­sage, le sub­ver­tit. Mais enfin, il s’é­tait soulevé. Dans une large mesure, il fut enten­du. Deux mil­lé­naires se sont écoulés. Ceci car nous allons, dès l’ex­tinc­tion des bou­gies fes­tives, vivre sur nos ter­ri­toire blancs l’an­née la plus cri­tique qu’ait con­nu la civil­i­sa­tion (il n’en est qu’une, la notre, occi­den­tale) depuis l’an­née 1932, soit à veille de l’in­tro­n­i­sa­tion du nou­veau chance­li­er d’Alle­magne. Qui com­man­da ce qu’on sait: l’ef­fon­drement mas­sif des valeurs. Aus­si, à l’im­age de l’homme en pagne de Judée, cet éner­gumène sur­gi de nulle part, cet éner­gumène par­ti seul au com­bat, cet homme qui avait com­pris ce que valait le Tem­ple, il faut se redire: volon­té et courage, courage et jusqu’au boutisme.