Anniversaire des 54 ans dans un restaurant de Barajas-Madrid avec Monfrère et Aplo. Eux arrivent en avion de Genève, moi en voiture d’Agrabuey. Ce matin, départ pour Ávila. Le stage de combat débute dans l’après-midi. Mon cadeau: un T‑shirt de soutien au prisonnier Julian Assange.
Mois : novembre 2019
Souricière
Dans nos sociétés de révérence devant des principes toujours neufs et arbitraires, les hommes honnêtes se cherchent au réveil, dans la journée et encore le soir, et ne se trouvent pas. Ecartelés, ils en appellent aux artifices pour se réunir, mais ne sont pas dupes: ce qui les guette n’est pas la fatigue, c’est le refus définitif de cette forme usurpatrice que prend la fatigue quand elle est provoquée par un schéma inhumain.
Douze heures
Un voyage plus rapide que jamais. Levé à quatre heures du matin sous-gare à Lausanne, j’atteins Agrabuey à seize heures. Entre temps, j’ai croisé deux clochards saouls dans l’omnibus pour Cointrin (un Tchèque iroquois, divagant et rongé qui répète “à Châtelet… la police.. çeu la merde”, à quoi son compagnon, un Français boursoufflé et barbu réponds “je comprends pas ce que tu dis… je comprends rien… Châtelet? Les halles? Oui, oui, je connais… Moi, je ne paie jamais le train.”), dans l’avion pour Madrid une jeune fille qui lit Théorie de l’écospiritualité, elle émigre en Argentine avec pour tout bagage une trousse puis dans le train une Chinoise qui suce une glace au piment et enfin, dans le car qui remonte l’Aragón, des gamines qui essaient les déshabillés qu’elles viennent d’acheter dans une grande surface de Saragosse.
Capitale
Promenade dans Berne avec Luv. Atmosphère familiale, rouge et jaune, magasins décorés, soupes chaudes. Des habitants moins fragiles ou misérables qu’à Genève ou Lausanne. Pas d’ours, hélas. Penchés sur les fosses, nous les cherchons. Le soir, C. me dit qu’ils ont été déplacés sur les berges de l’Aar. J’en doute: la clôture serait plus travaillée. Les yeux sur la colline je tente ensuite d’isoler ce jardin d’enfants en plein l’air où mes parents me déposaient lorsque nous habitions la capitale. Il est vraisemblable qu’il ait disparu: c’était il y a cinquante ans. Puis au Musée des arts, pour la visite de trois salles décevantes n’était-ce un paysage de Valloton qui évoque l’expressionnisme scandinave (par opposition à la façon mitteleuropa d’Hrdlicka, Grosz ou Kokoscha) et quelques toiles de petite taille signée Gertsch (la femme de Franz?) qui nous conduit dans la librairie où je montre à Luv les sujets rock du réalisme photographique des années 1970.
Démocratie — de merde 3
Moi qui aime l’Espagne. Je pensais que c’était le dernier rempart. Il y a cinq ans encore, j’aurais juré que c’était le seul lieu. Vaste, primitif, et sensé, historiquement sensé, le seule lieu où le moi survivrait. Or le cauchemar, ici comme en Suisse commence. La génération née sous le franquisme était vertébrée à la manivelle: catholicisme et dictature. S’ensuivit une génération festive que récupère l’Europe: les instances techniciennes de Bruxelles larguent à partir de 1990 des kilotonnes d’argent sur la péninsule: “que la fête continue!” Advient la nouvelle génération — débile. Nourrie de chips et de “télénovelas”. Sans repères ni savoir, incapable d’éduquer ses enfants. Un savoir-faire? Encore moins. Il est perdu. Jamais cette génération de quarantenaires n’a travaillé. Résultat? Un peuple sexuellement exsangue, abruti par la consommation des images, doté d’une raison floue. Et qui veut tout. Donc des droits nouveaux. De l’animal, de l’homme, de la Catalogne, de la femme, de la montagne. Un peuple tombant, un procès général de frustration. Tandis qu’affluent sur le territoire, par décision des gouvernements successifs, comme chez nous en Suisse, les énergumènes venus des sables africains et des selves américaines. Une situation d’urgence. A laquelle le socialisme vient de répondre “présent!”. Il va procéder à la liquidation de la société.
TM
Aujourd’hui sort enfin en librairie TM. Voilà deux ans que le manuscrit attendait chez In Folio. J’ai écrit ce récit sur la Suisse, la vie et le travail à Rincon de la Victoria, en quelques jours, puisant dans mes dernières forces, après avoir planché plus de deux ans sur Stabulations, l’essai et, en parallèle, pour me décontracter (ce dernier texte écrit sur la plage où j’allais chaque matin occupé une table de pique-nique) Notr Pays (dont je savais que personne ne voudrait, le thème de ce roman étant la liquidation de la société helvétique). Mais ce n’est pas ce que je veux noter. A l’automne 2017, au salon de Morges Le livre sur les quais, j’ai sur moi ces manuscrits. Je propose TM à l’éditeur genevois d’Autre Part, Pascal Rebetez, un ami. Réponse : “il est exclu que je publie ce texte”. Cela, sans autre justification. Que je réclame . “Tes positions politiques!”, me dit-il. Je crois à une plaisanterie. D’autant que cet homme et moi nous connaissons, nous fréquentons. “Mais enfin, fais-je valoir, il n’y a pas la moindre allusion politique dans ce récit!”. Ce que l’éditeur m’accorde, ajoutant qu’il le trouve excellent. J’insiste pour en savoir plus. Il m’explique alors que s’il publiait TM, un texte écrit par l’auteur du Journal d’Inconsistance, il risquerait de perdre ses subventions, donc de mettre en péril son travail de publication, un risque qu’il ne saurait prendre. Force est d’admettre que cet homme a le courage de la lâcheté! Et qu’incrimine-t-il dans mon Journal? Par exemple l’usage du mot “métèque” (ironie de la situation, dans la note qu’il donne en référence, le terme est utilisé au sens que lui donne Platon dans La République). Fâché de voir qu’il existe une littérature officielle et des éditeurs aux ordres, je lui réponds, faisant allusion à Genève, “qu’il est normal lorsque l’on vit dans un zoo de soigner sa cage et de s’acoquiner avec les gardiens.”