Mois : octobre 2019

1997

Il y a trente ans le directeur d’une revue genevoise, un ami, sachant que j’écris de la poésie, me demande une con­tri­bu­tion. Ma tech­nique d’alors, immé­di­ate­ment inspirée des cut-ups de Bry­on Gysin don­nait un recueil inti­t­ulé Poèmes car­rés, assem­blage de mots chevil­lés par une con­trainte d’ar­chi­tecte. Au lieu de quoi je lui four­nis un texte sur les logi­ciels de créa­tion plas­tique pour dire: il n’y a pas, il ne peut y avoir de logi­ciel de créa­tion parce que la créa­tion n’est pas l’ef­fet d’un cal­cul.
-Oui, mm, me dit le directeur, tu es meilleur dans les poèmes, donne un poème! 

Être

Je suis si bien enfer­mé que moi-même je me demande par­fois où je suis.

Squatt, fumée, froid

Chargé hier deux milles kilos de bûch­es de bois pour mon salon, pour mon fourneau. Le trans­port vous pèse sur les bras, l’assem­blage de la réserve exige un ingénierie que je n’ai pas — le paysan con­seille, j’im­pro­vise. Cet après-midi, en route dans ma Dodge pour le cen­tre d’al­i­men­ta­tion Car­refour, je rac­croche à la mémoire et observe: lorsque je vivais à Floris­sant-Genève, dans la mai­son aban­don­née, j’ai chauf­fé ma cham­bre pen­dant deux ans au poêle. Tout en con­duisant, je fais le con­stat. Puis demande: “com­ment?” Car je n’ai jamais acheté un bout de bois. Tout venait de la rue. En plein Genève. C’é­tait? Des poteaux volés, du meu­ble aggloméré, des bar­rières de chantier.

Détail

A l’in­stant au bar d’A­grabuey. Com­ment dire le lieu? Nous vivons dans un trou physique, c’est l’au­tomne, l’hiv­er vient, au reg­istre d’habi­ta­tion nous sommes trente-cinq inscrits. Exclus les nonagé­naires et les trois enfants, cela fait une solide dizaine d’in­di­vidus. Cer­tains soirs, les meilleurs, affaire de con­jonc­tion, achem­inés vers le bar, entre la fontaine (eau munic­i­pale) et le fron­ton (en déshérence), nous tenons le comp­toir. Le cas ce soir. Chaleur par­ti­c­ulière d’un rap­port d’oc­cu­pa­tion du site d’A­grabuey. “Nous sommes là”. Telle est la maxime gravée dans les cerveaux des vil­la­geois qui font vie dans le trou. Pour rien au monde, je n’échang­erais con­tre New-York.

Voie

Con­cevoir à part soi, puis réalis­er dans le champ d’ac­tion, au milieu de ce car­naval machinique, pour le sub­ver­tir et le réori­en­ter, les enseigne­ments du clochard Jésus, ce diva­gant génial qui offi­ci­ait con­tre l’or­dre établi et con­tre tous les ordres.

Réhumaniser

Ces derniers jours, j’ai retrou­vé mon opti­misme. Jamais il n’avait dis­paru. Il est infor­matif. Et direc­tion­nel. Il est fon­da­men­tal. Il était en berne. Je tra­vail­lais le noir depuis 2016, l’an­née où j’ai quit­té Fri­bourg et la Suisse avec le sen­ti­ment dégoûté que nous allions, tous, vivre dans un zoo; que les cages se fer­maient; que les gar­di­ens pre­naient l’u­ni­forme. Quit­té la Suisse d’un geste com­pul­sif, vers Makas­sar, là où per­son­ne en va (Nord de l’In­donésie), et pour cause — j’en ai déjà fait état, ici, dans ce Jour­nal. Donc, dis­ais-je, cette tra­ver­sée engagée con­tre les sché­mas délétères de néga­tion de la cul­ture pro­pre, du plaisir, de la lib­erté, du plaisir de vivre, s’achève. Aujour­d’hui, voy­ant ce que l’on voit quand on ne ferme pas les yeux sous l’ef­fet de la veu­lerie, je me réjouis: nous sommes au bout; cela ne peut dur­er; l’é­clate­ment est proche. Nous allons ressur­gir. Man­i­fester notre human­ité pro­fonde. Vouloir ce que doit vouloir un vivant: réalis­er une expan­sion intérieur, c’est-à-dire s’aug­menter par des moyens per­son­nels, authen­tiques, jouer de nos pos­si­bil­ités spir­ituelles — ressur­gir. A la clef, des com­bats. Hélas néces­saires avec, en chemin, la mort des fos­soyeurs, le plus sou­vent des débiles physiques ou men­taux. Qui? Poten­tielle­ment vous, moi, quiconque a, par ambi­tion ou naïveté, cau­tion­né, servi, ou pour les plus idiots défendu, le sys­tème de mise sous pres­sion des lib­ertés (dans ce dernier rang, pléthore de politi­ciens peu aguer­ris). Mal néces­saire que cette mise à mort sym­bol­ique des auteurs du mal pro­duit, et pro­duit en toute inno­cence (faire le mal faute de réfléchir n’ex­onère pas de la respon­s­abil­ité). Après quoi il s’a­gi­ra de se grandir. Sans Dieu. Sans les peu­ples qui cèdent au ver­tige de Dieu. Et sans idol­âtrie. Sans utopie sociale. Autant de mau­vais principes, autant de fac­teurs de pou­voir accru, autant de con­trôle néfaste des uns par les autres. Se grandir à par­tir de soi. Lente­ment. Pour cha­cun à la mesure de ses moyens. Se réhumaniser. 

Swans

Incidem­ment, comme mon œil glisse sur l’écran de l’or­di­na­teur, je vois un mes­sage dis­ant que le groupe Swans a fait paraître un nou­v­el album. Cette nuit, en rêve, je l’en­tends et même je l’é­coute. Plus que cela, je le juge: “moins incan­ta­toire la voix, plus raides les gui­tares, sec­tion ryth­mique mieux affir­mée…”. Dont je con­clus: je vais l’écouter.

Manifestations aux hémisphères

Vive­ment que les peu­ples se soulèvent! Il s’a­gi­ra alors de bien com­pren­dre qui se tient der­rière la réponse faute de repar­tir pour un tour de manège.

Rougon-Macquart

Hen­ri Guillemin, porté à la car­i­ca­ture, excel­lent écrivain cepen­dant, nous racon­te que le nat­u­ral­isme de Zola, soit sa prédis­po­si­tion à accentuer les traits les moins flat­teurs du car­ac­tère humain afin de ne pas trahir l’or­dre des con­stats viendrait de sa pre­mière expéri­ence sex­uelle, avec Berthe, une pros­ti­tuée lai­teuse et grosse, à demi-chauve, mais encore stu­pide et acariâtre.

Lit

Tous les soirs je me félicite de la qual­ité de mon lit; tous les matins je me félicite de la qual­ité de mon lit. Com­ment ai-je fait pour obtenir un tel con­fort? Il est vrai qu’il aura fal­lu 52 ans.