Mise en place, partout dans l’Europe de cette séquence historique récurrente: socialisme doctrinaire des Etats, réaction du peuple natif, répression, polarisation, guerre.
Mois : juillet 2019
Voies
Tenté une fois encore de me rendre à pied à Scandicci où se trouve la palestre. Comme la dernière fois, la Mercedes verte est là, sur le côté du pont. Je me trompais, ce ne sont pas des pêcheurs descendus à la rivière (je le croyais à cause des chaises disposées sur les îlots, en réalité des débris que charrie l’eau et que redresse quelque rigolo), la voiture est d’un voisin. Sur la banquette arrière, trois chapeaux des années 1950: ils me rappellent que mes grands-pères, lorsque nous partions en promenade dans Lausanne, sortaient toujours couverts. Ils eussent renoncer à paraître plutôt que de se présenter le crâne nu. Me faufilant pour rejoindre la rivière, je vois que le volant de la Mercedes est armé d’un bras de sécurité. Amusant, quand on sait que dans le quartier, par ces chaleurs, la plupart des véhicules sont stationnés toutes fenêtres ouvertes. Bref, me voici sur la berge. De Galluzzo, mon pari est de rejoindre le quartier qui se trouve derrière la colline. La carte consultée, le lit de la rivière est le seul passage praticable. Sans cela, il faut marcher sur des routes dépourvues de trottoir que la circulation accable. Je m’engage sur les galets, m’accroche au talus, passe dans le sous-bois. Dans un champ, la trace d’un tracteur offre pour un temps un chemin, puis il me faut retourner à la rivière. Alors les choses se gâtent: je brasse dans les orties, me griffe aux épineux, essuie un nid d’araignée, lève des canards. A la fin, une clôture m’arrête. Je trouve la brèche, me glisse sous un pont d’autoroute, traverse une étendue de blé. Cette fois, j’aboutis sur un large chemin. Il mène à une baraque de jardiniers. Pas de chiens, des légumes épuisés de soleil et une troupe de vieillards qui s’enivre dans une cabane. Surpris de me voir, ils m’indiquent le “sendero” pour Scandicci. Trois cent mètres plus avant, je débouche sur la route qu’il s’agissait d’éviter. Les automobiles rasent les murs. Je veux revenir dans la rivière. Elle n’a plus de berges. Une demi-heure plus tard, griffé sur tout le corps, je suis de retour à notre coin de ferme où m’attend Gala. Après la douche, je me rends à la palestre en voiture. L’enquête est finie : dans ce territoire exigu, semé de collines et mangé de verdure, ne passent que des routes serpentines. Qui prétend renoncer à la voiture doit circuler à moto. Il y a bien les fous: ils vont à vélo et au milieu de la route, mais je ne suis ni Italien ni acrobate.
Rivière
Pas trouvé de voie pour me rendre de Galluzzo à Scandicci où je viens de prendre contrat dans une palestre: le traffic est épais, les sinuosités mangées de végétation, les murets à demi-éboulés, ceci dans un faubourg fréquenté de Florence. Quand on débouche, ce sont des carrefours, des ponts, des sens interdits. Faut-il confesser que tout ce qui n’est pas simple me semble compliqué. Du moins pour ces choses inintéressantes que l’on devrait résoudre sans autre effort, par exemple se mouvoir. Mais voilà, après un essai à vélo et un essai en voiture, peu concluants, je viens de constater que l’on peut emprunter la rivière — reste à voir s’il y a des berges.
Minorités 2
Les minorités les plus fantasques, animalistes, négroïdes, homosexuels, tireurs, soudain appelées au spectacle de rue, sont les meilleurs instruments contre la démocratie. Quoiqu’elles montrent, fêtent ou revendiquent, elles mettent en doute les règles constitutionnelles qui dans nos sociétés définissent comme recteur de la liberté collective la majorité. Positionnées sur les hauteurs, ici de verre et de métal, qui n’en doutons pas deviendront à terme cyber-spatiales, le cercle des dirigeants coalisés qui prétendent ordonner le monde se réjouit de ce formidable coup de poker. Et sait que toutes les divisions produites dans la masse correspond à une augmentation arithmétique de son pouvoir.
Jacques
A bord de ma voiture, grande, grise, massive, j’embarque l’enfant du village pour le ramener à sa ferme isolée dans la Glâne fribourgeoise, quand au loin se dessine un arbre grossier.
-C’est là, me dit l’enfant, que Jacques Chessex finit ses jours à l’insu des vivants.
Je me déclare peu intéressé, mais l’enfant me titre la main. Au pied de la construction, je vois qu’il s’agit, enchevêtré par le branchage, d’un conteneur universel posé sur un chêne. Un ascenseur nous hisse jusqu’à l’écrivain vaudois. Passé la porte, nous sommes retenus par ses filles. Elle sont trois et disent: “Notre père nous a tellement aimées que nous nous soignons sa mort.” Aussitôt, l’enfant, les filles et l’écrivain, en file indienne, sommes placés devant un trou dans le plafond que nous avons à escalader. Il faut revenir à l’air libre. Gravir l’intérieur du goulet est périlleux et, je ne cesse de me répéter: “moi qui m’asphyxie”. Or, ne voilà-t-il pas qu’arrivée prêt de l’évasement, à la surface du sol qui donne sur l’espace libre d’un pré — je l’entrevois– l’une des filles de Chessex, la benjamine, s’arrête. Elle taille dans un morceau de cuir épais, au cutter, un circonflexe, ce que je voyant je m’écrie:
-Passage! Passage!
Elle de se retourner, offusquée:
-Sans cette précision chirurgicale, il n’y a pas d’écriture!
Régulier
Journées heureuses, quelque peu léthargiques, cependant profitables: levé à midi, j’étudie l’italien, lis La guerre des Gaules, puis m’occupe de la haie (que je tonds au ciseau de cuisine), après quoi, le génie retrouvé, Gala cuisine d’excellents Rigatoni. Douze heures de sommeil précèdent, une heure de sieste s’ensuit. Réveillé, je vais chercher notre eau minérale et municipale, six litres — la nuit torride exige que l’on boive — et enfin (le temps passe vite), quelques livres disposés sur le plateau de table au jardin, j’ouvre des bières Moretti et contemple la nuit.