Samedi passé, pique-nique pour les employés de Fribourg dans la forêt du Bois-de Croix. Venu de Lausanne, je peine à trouver des glaçons. Après deux échecs en station-service le long de la route du Lac, j’en prends vingt kilos à Châtel-Saint-Denis que je déverse dans les glacières embarquées à l’arrière de la Dacia. Rue du Jura, près de notre kiosque, je me fournis en viandes, puis récupère C. et sa femme, les chefs de district. A l’heure du rendez-vous, nous sommes sous les arbres. Autour des vastes tables de bois, une congrégation de dames vieilles, d’excellente humeur, partagent un vin blanc à l’occasion d’un anniversaire. De l’une des participantes, voûtée et chenue, j’entends cette phrase qui m’enchante: “Moi, dans ma ferme…”. Arrivent ensuite de jeunes fêtards et deux lesbiennes qui se becquottent sur un tapis de yoga. Nous avons allumé un feu, posé nos patates. Mais le temps se gâte. Les nuages cèdent, tombe une pluie drue. Les jeunes abandonnent. Privilège de l’âge, nous persévérons. Comme il se doit, le ciel s’éclaircit. Vient le Prisonnier, autrefois collègue de cellule de mon papa, puis cet employé que je rencontre pour la première fois, P. C. Plat, blond, tatoué, massivement tatoué, il a sa boucle dans le nez, des cavités dans les oreilles, mange “vegan” et parle dans les meilleurs termes de la musique outrancière qu’il aime et fait (il est musicien), et que j’aime et j’écoute, bien incapable de la faire. Ainsi, dans la lumière finissante et l’humidité, puis dans le noir, nous buvons en excellente compagnie, jusqu’à minuit, une palette de Lowenbraü et du Chianti. Plus périlleux le retour, seul, en voiture, par l’autoroute déchirée d’éclairs à hauteur de Bulle, le capot frappé de grêle. A Lausanne, je trouve Gala, juste réveillée. Nous ouvrons des bouteilles et devisons, heureux et désordonnés.
Mois : juillet 2019
Union
Le dégoût qu’inspire au peuple premier, honnête, positionné sur le territoire ancestral, la veulerie criminelle des pouvoirs cooptés qui bradent pour un avantage de classe l’avenir des habitants de l’Europe s’accumule si bien ces jours dans les corps qu’il ne saurait tarder à produire un schéma néfaste.
Sinusoïdales
Gentillesse des Florentins. A l’oeuvre, un génie simple. Autant sont rectilignes, formalisées et pressantes les perspectives qui dessinent le corps majeur de nos sociétés d’ascendance germanique, autant sont curvilignes, organiques et négociables les trajectoires que trace au sol la routine des Italiens — note que je prends à mon détriment, plombé que je suis par un atavisme nordique.
Réfugiés suisses
Des enfants de Villeneuve et Montreux, quelques uns de dix-sept, d’autres de vingt-cinq et trente ans, gagnèrent clandestinement le Maghreb. Débarqués à Tanger, ils errèrent dans le port puis s’installèrent dans des bleds reculés où les retrouvèrent d’autres Suisses des cantons de Vaud et Neuchâtel. Repérés par les autorités, ils furent hébergés dans des riads d’Etat, nourris, munis d’argent et pourvus de parrains de bonne volonté. Par désoeuvrement et bêtise, ils s’adonnèrent au vol à la tire et à la consommation de drogue, puis constatant que la police laissait faire et que les parrains de l’opération “un toit pour les immigrés suisses” les justifiaient, passèrent au viol et au pillage. Quand les parents de la jeune Leila, brutalisée et violée, firent le siège du riad où les enfants suisses étaient réfugiés, les politiciens, assistés de nombreux fonctionnaires, d’intellectuels et de l’imam, menacèrent les autochtones d’emprisonnement, eux qui, par leurs protestations, manifestaient un racisme indigne du Maghreb.
En ligne
Double difficulté de l’écriture quotidienne, en ligne. Sans cesse confronté au risque de dévoiler les traits de caractère de ceux que l’on aime, avec qui on vit; de heurter les sensibilités des personnes dont on a l’amitié, ou du moins l’assentiment. L’exercice relève de l’acrobatie. Et changer les noms n’y suffit pas: jamais les gens ne sont plus perspicaces qu’au moment de se reconnaître (quitte à se reconnaître dans des étrangers). Ajoutons les problèmes de pensée, et d’abord les opinions sociales et politiques, pour autrui autant d’occasions de lynchage. Un écrivain honnête? Qu’est-ce que cela? Un homme qui aurait complètement renoncer à lui-même. Autant dire, cela n’existe pas.
Degrés
Chaleur écrasante dans Florence. A l’aube, l’oie et le coq, vers sept heures le chien, puis ce petit monde se rendort et cède la place aux grillons. Dans l’après-midi, il fait 39 degrés. En voiture, par des routes tortueuses englouties de végétation je me rends à la palestre. La salle d’entraînement est en sous-sol. Le propriétaire que je viens de payer 100 euros, l’air content, ravi même, l’allume afin que je puisse en profiter dans l’attente du cours prévu pour vingt heures. Je fais des quats et des pompes. A Gala, j’ai dit la semaine précédente: il n’y a pas de fenêtres. Maintenant que j’ai la salle pour moi, j’y regarde de plus près. De fait, il y a un soupirail. Deux mêmes. Le bruit d’un moteur et le balai d’un jeu de phares me renseignent : ils sont percés dans un mur qui donne sur un garage souterrain. Plus tard, organisation de combats souples. Mon adversaire est un petit râblé, leste et bon boxeur. Il fait dix degrés de plus qu’à l’extérieur. Fin de la deuxième minute, je fais signe: mon destin n’est pas de mourir d’apoplexie dans un sous-sol de la rue Francesco Valenti.