Mois : juillet 2019

Entreprise

Same­di passé, pique-nique pour les employés de Fri­bourg dans la forêt du Bois-de Croix. Venu de Lau­sanne, je peine à trou­ver des glaçons. Après deux échecs en sta­tion-ser­vice le long de la route du Lac, j’en prends vingt kilos à Châ­tel-Saint-Denis que je déverse dans les glacières embar­quées à l’ar­rière de la Dacia. Rue du Jura, près de notre kiosque, je me four­nis en vian­des, puis récupère C. et sa femme, les chefs de dis­trict. A l’heure du ren­dez-vous, nous sommes sous les arbres. Autour des vastes tables de bois, une con­gré­ga­tion de dames vieilles, d’ex­cel­lente humeur, parta­gent un vin blanc à l’oc­ca­sion d’un anniver­saire. De l’une des par­tic­i­pantes, voûtée et chenue, j’en­tends cette phrase qui m’en­chante: “Moi, dans ma ferme…”. Arrivent ensuite de jeunes fêtards et deux les­bi­ennes qui se bec­quot­tent sur un tapis de yoga. Nous avons allumé un feu, posé nos patates. Mais le temps se gâte. Les nuages cèdent, tombe une pluie drue. Les jeunes aban­don­nent. Priv­ilège de l’âge, nous per­sévérons. Comme il se doit, le ciel s’é­claircit. Vient le Pris­on­nier, autre­fois col­lègue de cel­lule de mon papa, puis cet employé que je ren­con­tre pour la pre­mière fois, P. C. Plat, blond, tatoué, mas­sive­ment tatoué, il a sa boucle dans le nez, des cav­ités dans les oreilles, mange “veg­an” et par­le dans les meilleurs ter­mes de la musique out­ran­cière qu’il aime et fait (il est musi­cien), et que j’aime et j’é­coute, bien inca­pable de la faire. Ain­si, dans la lumière finis­sante et l’hu­mid­ité, puis dans le noir, nous buvons  en excel­lente com­pag­nie, jusqu’à minu­it, une palette de Lowen­braü et du Chi­anti. Plus périlleux le retour, seul, en voiture, par l’au­toroute déchirée d’é­clairs à hau­teur de Bulle, le capot frap­pé de grêle. A Lau­sanne, je trou­ve Gala, juste réveil­lée. Nous ouvrons des bouteilles et devi­sons, heureux et désordonnés.

Bonheur

Très heureux ces jours, sans horaire ni règles, et amoureux. Rien de plus souhaitable qu’une vie courante, aux pris­es avec l’aléa­toire, vécue au rythme de ses envies. Ce dont je fais état, par con­traste avec mes jours de dure sagesse, en Andalousie, le plus sou­vent seul, ces dernières années.

Union

Le dégoût qu’in­spire au peu­ple pre­mier, hon­nête, posi­tion­né sur le ter­ri­toire ances­tral, la veu­lerie crim­inelle des pou­voirs coop­tés qui bradent pour un avan­tage de classe l’avenir des habi­tants de l’Eu­rope s’ac­cu­mule si bien ces jours dans les corps qu’il ne saurait tarder à pro­duire un sché­ma néfaste.

Sinusoïdales

Gen­til­lesse des Flo­rentins. A l’oeu­vre, un génie sim­ple. Autant sont rec­tilignes, for­mal­isées et pres­santes les per­spec­tives qui dessi­nent le corps majeur de nos sociétés d’as­cen­dance ger­manique, autant sont curvilignes, organiques et  négo­cia­bles les tra­jec­toires que trace au sol la rou­tine des Ital­iens — note que je prends à mon détri­ment, plom­bé que je suis par un atavisme nordique.

Liberté

Lib­erté d’ex­pres­sion sig­ni­fie et ne peut que sig­ni­fi­er: toute opin­ion que per­met de for­muler la langue ver­nac­u­laire, celle que les mem­bres d’une même pop­u­la­tion ont en com­mun et entre­ti­en­nent pour que com­mune elle demeure, a droit de cité.

Ecureuils

En dépit de la grosseur crois­sante des troncs, les écureuils étaient désor­mais à l’étroit dans les arbres. Le soir, réu­nis dans les méan­dres du bois, avides de signes à déchiffr­er, ils se bous­cu­laient pour apercevoir le ciel.

Réfugiés suisses

Des enfants de Vil­leneuve et Mon­treux, quelques uns de dix-sept, d’autres de vingt-cinq et trente ans, gag­nèrent clan­des­tine­ment le Maghreb. Débar­qués à Tanger, ils errèrent dans le port puis s’in­stal­lèrent dans des bleds reculés où les retrou­vèrent d’autres Suiss­es des can­tons de Vaud et Neuchâ­tel. Repérés par les autorités, ils furent hébergés dans des riads d’E­tat, nour­ris, munis d’ar­gent et pourvus de par­rains de bonne volon­té. Par désoeu­vre­ment et bêtise, ils s’adon­nèrent au vol à la tire et à la con­som­ma­tion de drogue, puis con­statant que la police lais­sait faire et que les par­rains de l’opéra­tion “un toit pour les immi­grés suiss­es” les jus­ti­fi­aient, passèrent au viol et au pil­lage. Quand les par­ents de la jeune Leila, bru­tal­isée et vio­lée, firent le siège du riad où les enfants suiss­es étaient réfugiés, les politi­ciens, assistés de nom­breux fonc­tion­naires, d’in­tel­lectuels et de l’i­mam, men­acèrent les autochtones d’emprisonnement, eux qui, par leurs protes­ta­tions, man­i­fes­taient un racisme indigne du Maghreb.

En ligne

Dou­ble dif­fi­culté de l’écri­t­ure quo­ti­di­enne, en ligne. Sans cesse con­fron­té au risque de dévoil­er les traits de car­ac­tère de ceux que l’on aime, avec qui on vit; de heurter les sen­si­bil­ités des per­son­nes dont on a l’ami­tié, ou du moins l’assen­ti­ment. L’ex­er­ci­ce relève de l’ac­ro­batie. Et chang­er les noms n’y suf­fit pas: jamais les gens ne sont plus per­spi­caces qu’au moment de se recon­naître (quitte à se recon­naître dans des étrangers). Ajou­tons les prob­lèmes de pen­sée, et d’abord les opin­ions sociales et poli­tiques, pour autrui autant d’oc­ca­sions de lyn­chage. Un écrivain hon­nête? Qu’est-ce que cela? Un homme qui aurait com­plète­ment renon­cer à lui-même. Autant dire, cela n’ex­iste pas.

Degrés

Chaleur écras­ante dans Flo­rence. A l’aube, l’oie et le coq, vers sept heures le chien, puis ce petit monde se ren­dort et cède la place aux gril­lons. Dans l’après-midi, il fait 39 degrés. En voiture, par des routes tortueuses englouties de végé­ta­tion je me rends à la palestre. La salle d’en­traîne­ment est en sous-sol. Le pro­prié­taire que je viens de pay­er 100 euros, l’air con­tent, ravi même, l’al­lume afin que je puisse en prof­iter dans l’at­tente du cours prévu pour vingt heures. Je fais des quats et des pom­pes. A Gala, j’ai dit la semaine précé­dente: il n’y a pas de fenêtres. Main­tenant que j’ai la salle pour moi, j’y regarde de plus près. De fait, il y a un soupi­rail. Deux mêmes. Le bruit d’un moteur et le bal­ai d’un jeu de phares me ren­seignent : ils sont per­cés dans un mur qui donne sur un garage souter­rain. Plus tard, organ­i­sa­tion de com­bats sou­ples. Mon adver­saire est un petit râblé, leste et bon boxeur. Il fait dix degrés de plus qu’à l’ex­térieur. Fin de la deux­ième minute, je fais signe: mon des­tin n’est pas de mourir d’apoplex­ie dans un sous-sol de la rue Francesco Valenti.