Jacques

A bord de ma voiture, grande, grise, mas­sive, j’embarque l’en­fant du vil­lage pour le ramen­er à sa ferme isolée dans la Glâne fri­bour­geoise, quand au loin se des­sine un arbre grossier.
-C’est là, me dit l’en­fant, que Jacques Ches­sex finit ses jours à l’in­su des vivants.
Je me déclare peu intéressé, mais l’en­fant me titre la main. Au pied de la con­struc­tion, je vois qu’il s’ag­it, enchevêtré par le bran­chage, d’un con­teneur uni­versel posé sur un chêne. Un ascenseur nous hisse jusqu’à l’écrivain vau­dois. Passé la porte, nous sommes retenus par ses filles. Elle sont trois et dis­ent: “Notre père nous a telle­ment aimées que nous nous soignons sa mort.” Aus­sitôt, l’en­fant, les filles et l’écrivain, en file indi­enne, sommes placés devant un trou dans le pla­fond que nous avons à escalad­er. Il faut revenir à l’air libre. Gravir l’in­térieur du goulet est périlleux et, je ne cesse de me répéter: “moi qui m’as­phyx­ie”. Or, ne voilà-t-il pas qu’ar­rivée prêt de l’é­vase­ment, à la sur­face du sol qui donne sur l’e­space libre d’un pré — je l’en­trevois–  l’une des filles de Ches­sex, la ben­jamine, s’ar­rête. Elle taille dans un morceau de cuir épais, au cut­ter, un cir­con­flexe, ce que je voy­ant je m’écrie:
-Pas­sage! Pas­sage!
Elle de se retourn­er, offusquée:
-Sans cette pré­ci­sion chirur­gi­cale, il n’y a pas d’écriture!