De cette gentille dame, il ne reste rien.
Mois : mai 2019
Banques
Que nous tous, le peuple, attaque les banques, coupe les centrales de gestion, brûle les bâtiments, vilipende les bureaux de ponction, puis la prime colère apaisée, pèche à domicile les banquiers pour les punir. Le châtiment: les mettre au travail. Par l’effort, comme ils ont mis, hors conscience, le peuple au travail, afin de l’ usurper. Je ne ne dis pas que je suis contre les banques. Il en fallait, il en faudra. Le système doit être reconstruit dans les limites d’une prédation acceptée par les cotisants. Sans l’octroi de garanties émanant de l’Etat, sans le recours ponctuel, arbitraire, aux moyens de la violence légale.
Apprentissage
Grandement disparu ce sentiment de solitude viscérale qui attaque l’énergie vitale dans les premiers temps de la sortie de société. Cinq ans que je pratique, avec la meilleure détermination dont je suis capable, les voies secondaires, souvent sans femme, est-il besoin d’ajouter “hélas?”, et cependant, à l’usage, je me le répétais un sourire vaste sur la face ces dernière semaines, pris d’un enthousiasme soudain dû au soleil, à la beauté du paysage ou au flux de la vie: “que c’est bien!”
Notes de voyage — 2
L’étape la plus dure. Du moins, je le pensais. Sur le papier, deux mil neuf-cent mètres de montée à travers la Sierra Nevada. En matinée, je contourne le massif par le sud et me tiens sur la ligne des mille mètres. La route à flanc de colline est coupée de ponts, des villages blancs perchent dans les hauteurs. Paysage déchiqueté et sec, entre roc et bosquets. Peu de voitures. Après 63 kilomètres, j’aboutis à Cherín. Le garçon de l’unique restaurant prend soin de mon vélo, le pose contre la vitre de la salle à manger, approche une table afin que je ne le perde pas de vue. Je n’ai rien demandé, je sais que ce luxe de précautions est inutile; ici, personne ne vole. Mais sa prévenance lui dit que je mangerai mieux ainsi, rassuré. Dans ce lieu reculé, village construit sur deux rives que sépare une rivière, peu à peu les clients arrivent des montagnes et s’installent pour dîner. Des couvreurs, des fermiers, une famille d’Italiens. De la conversation de mes voisins, des ouvriers Andalous qui mâchent leurs syllabes, je ne saisis pas un traître mot (et pourtant, les camarades du Krav Maga m’ont mis à bonne école). Fidèle à ma méthode, le vin bu, les trois plats finis, je reprends aussitôt la route. Qui sinue à travers les prés, plonge dans un tunnel sans éclairage, puis se dresse devant moi, verticale. Je monte alors pendant 27 kilomètres, deux heures à petit régime, jusqu’au col de la Ragua, 200 mètres, replat tranquille où trône un gros refuge. Le ciel est gris, j’enfile une protection et descends en direction de la Calahorra dans la comarque de Guadix par une route cahotante et de maigre récompense. La Garde Civile m’arrête. Un militaire accourt, désigne un vélo retourné dans le fossé. “Est-ce que je suis le compagnon de route du Hollandais qui vient d’avoir un accident?” L’ambulance vient de l’emmener. Il est tombé sur la tête à pleine vitesse. A la tombée du jour, j’atteins mon village d’étape en priant pour qu’il offre un hôtel. Contrairement à l’année dernière, je ne réserve plus. La liberté que l’on en retire a sa contrepartie : il faut parfois rouler vingt à trente kilomètres de plus dans un état de grande fatigue pour trouver à dormir. Ce soir, j’ai de la chance. Mon lit donne sur le château de La Calahorra, bâtisse à muraille et donjons, posée sur un tertre, plus proche du ciel que des champs. Au bar, un étage au-dessous, le patron compare la vitesse en vol de Superman et Batman et j’ai tort de croire qu’il plaisante, il connaît son affaire, il donne les temps d’accélération et de freinage, répète à son audience: “mais enfin, écoutez ce que je vous dis!” Partie de cette audience, une gamine, la sienne probablement, la pauvre, qui voyant ce que les adultes prennent au sérieux, ne risque pas de mettre la main sur des choses bien profondes.
Notes de voyage — 1
Dans la région côtière de Malaga qui s’appelle l’Axarquie, le pays avance jusqu’à la mer en pente douce. Une route ancienne se faufile entre la plage et les terres. Ce que les caravaniers viennent faire là? Ils plantent leur caravane, contemplent le large. Se bouchent les oreilles. Dans leur dos, le trafic. Pas intense, mais soutenu. Il sont Anglais, Hollandais, Allemands. A la retraite. En fin de journée, ils gagnent un bar. Le matin, ils randonnent. Certains ont des bâtons et des sacs à dos. L’air sérieux. Un petit écart de roue, je les évite. D’ailleurs, je pédale trop fort. Au début des voyages, toujours. Comme s’il fallait ressentir le départ en s’éloignant au plus vite. Puis le vélo est neuf, électronique le passage des vitesses. J’hésite encore sur les manipulations. Passé Nerja, le littoral bute contre les falaises de la région d’Almería. Première montée en lacets. Je roule au-dessus des criques. A Salobreña, juste avant de pénétrer dans la mer de plastique (taches opaques des serres à fraises au loin), je bifurque. Direction générale, Grenade. Ce soir, je dors à Lanjarón. Monfrère qui connaît tout de l’Espagne, m’a indiqué un hôtel. Le ville est petite. Connue pour donner accès aux Alpujarras. Perchée au-dessus d’un barrage. Ma chambre se termine par un balcon de bois andalou: je surplombe la route que j’ai parcourue. Il est dix-sept heures. La ville dort encore. Elle est d’une seule rue. En son milieu, mon hôtel, le Central. Et douze autres établissements. Volets clos, ils semblent vides. A la réception du Central, derrière moi, tandis que je signe le registre, un jeune nerveux et percé. Il gesticule, demande le prix, fait répéter, consulte son acolyte, compte ses billets. Le temps de me débarbouiller, je redescends vêtu dans ce qui sera ces prochains jours mon costume de sortie : pantalons de tissu léger, sandales chinoises que je porte pieds nus, maillot cycliste aux couleurs de l’Espagne (commandé en Chine, les boutiques nationales ne vendent que les couleurs des provinces). A n’en pas douter, j’ai l’aspect d’un clown. Lanjarón donc; à l’entrée de la ville, sur le panneau municipal, un rigolo a noté “nos roban el agua”, traduction: ils volent notre eau. Dans les faits, la source locale produit l’une des eaux minérales les plus vendues dans le pays. Enfant, je la buvais à Madrid, où mon père la commandait par caisses. Elle était livrée dans de belles bouteilles de verre à capsules. Dans l’immédiat, après 111 kilomètres, c’est une bière que je cherche. Je vais par un trottoir, traverse la ville, reviens par le trottoir opposé. Au passage un adolescent me demande “quel jour sommes nous?” J’avise un bar. En même temps, j’entends un bruit. Haché, agaçant. Sur la terrasse d’un bâtiment thermal fin de siècle avec coupoles de crème chantilly, le jeune que j’ai croisé à la réception. Pour son acolyte, il chante, scande, vocifère, tousse du reggaeton, le rap des immigrés latinos, un rap d’esclaves comme tous les raps, une horreur qui parle de fesses que l’on trémousse, de banlieues que l’on aime et abhorre, de cœurs déchirés et de cocaïne. Demi-tour. A l’autre bout de Lanjarón, je m’installe devant une fabrique de jambons. La serveuse vient de se réveiller. Elle apporte de la bière dans un verre à cidre. C’est ce que je demande toujours, “cerveza en un vaso de sidra” afin d’éviter la “copa”, en forme de coupe ou le “tubo” en forme de tube. Elle sert cela avec un plat de chorizo. Deuxième commande, un plat de lard. Puis de saucisson et de jambon fumé. A nouveau, je parcours toute la rue. Le jeune est toujours assis avec son acolyte, mais il ne scandent plus. Le visage dans le téléphone, ils réécoutent leur enregistrement. Par précaution, dès fois que l’inspiration les reprennent, je renonce aux terrasses et entre dans une salle de café. Pour être sûr, je m’assois sous le téléviseur. Suite de la commande. Avec la bière, on m’apporte du chorizo, du saucisson et du jambon. Au Central, hôtel des années 1980 conservé dans son jus, les propriétaires, un couple charmant des années 1950, me fait les honneurs de l’établissement. Et ils ont tout ce que j’apprécie: des clefs qui sont de vrais, de bonnes, de grosses clefs avec des porte-clefs de métal, des parois de bois verni, des meubles pesants, des canapés avec rembourrage et tissu, et le balcon, comme j’ai dit, andalou, au-dessus de ruelles peintes à la chaux, décorées de fleurs, encore ensoleillées à neuf heures le soir.