Mois : avril 2019

Désormais…

… cha­cun est cri­tique de ciné­ma: “Mag­nifique moi qui ne penser pas ver­sé une larme mal­gré les com­men­taires qui le dis­ait, j’en n’ait ver­sée plusieurs. Je vous le con­seil. Ce film est plein d’é­mo­tion. je l’ai beau­coup aimé.”

Raison

Ces gens, tous ces gens qui pensent que vous avez tort. Ont-ils rai­son? Ils ont rai­son. Du moins dans la mesure où leur pen­sée se valant de celle des autres garan­tit pro­vi­soire­ment la raison.

Prière

Ce dont nous nous sommes détournés afin de com­pren­dre le monde est le monde. Pro­posé dans sa masse, sa bru­tal­ité, sa com­po­si­tion et sa beauté. L’ac­cepter irré­ductible seul nous per­met de demeur­er dans ce rap­port stupé­fac­tion naturelle qui spir­i­tu­alise notre être.

Anselmo

Pan­tera, dernier groupe de la tra­di­tion hard-rock avant la mise en boîte d’usine.

Hutte

Acquis chez le Chi­nois une cage à oiseau. Comme je péné­trais dans la bou­tique, j’imag­i­nais une cage façon chalet à coucou. En fait, il y avait le choix entre le mod­èle Le Cor­busier, un triste par­al­lélépipède et le mod­èle Con­go —  je le bap­ti­sais ain­si car il évo­quait une hutte. J’ai choisi le sec­ond mod­èle. De retour à la mai­son, je con­sulte l’en­cy­clopédie et je vois que le passereau “acan­tisi­ta roquero”, auquel doit être je crois rap­porté l’in­di­vidu qui vole autour de ma mai­son, bâtit des nids sus­pendus qui ont la forme de la cage-hutte ven­due par le Chinois.

Vélos

Ressor­ti mon vélo “tour du monde”. Un engin épais, au cadre d’aci­er, porte-sacoches et gross­es roues. Le guidon per­met dix posi­tions de mains. Pour l’eau de réserve, j’ai qua­tre sup­ports. Une mécanique suisse, conçues dans les années où notre pays croy­ait dans on armée et livrait des out­ils fait pour con­quérir l’é­ter­nité. Avec ça, il n’y à pas à crain­dre d’a­vancer droit devant soi, par les pier­ri­ers, la boue, les rigoles, les sen­tiers de forêts ou les aplats de neige. J’ai roulé trois heures dans la val­lée de l’Es­per­run et à chaque tour de roue, je me ras­sur­ais. S’il fal­lait voy­ager, je ne voudrais pas d’un autre vélo. Bien sûr, on a un peu le sen­ti­ment de chevauch­er un tank. Il faut du mol­let. Rien à voir avec la vitesse et cette sen­sa­tion aéri­enne que don­nent les nou­veaux vélos de course (la semaine prochaine je tra­verse l’Es­pagne avec un mod­èle à moins de 7 kilos), mais avec des appareils aus­si affinés on se sent un peu nu.

Amour 2

“Dans un cou­ple, il est détestable qu’avec le temps l’amour verse à l’ami­tié. Affadisse­ment qui est comme un aveu d’im­pos­si­bil­ité, d’un manque total de réus­site. L’amour est un sen­ti­ment sans sub­sti­tut.” Louis Calaferte, Car­nets XV.

Monastère

Une accalmie. Au départ de la ville de Jaca, je grimpe vers le nou­veau monastère de San Juan de la Peña. Nou­veau, car l’an­cien où sont enter­rés les rois d’Es­pagne, forgé dans une grotte, a brûlé. Les moines se sont déplacés dans ce bâti­ment neuf, con­stru­it sur le plateau, dans un lieu aus­si reculé, mais moins hos­tile. Là encore, le monastère à brûlé. Aujour­d’hui, l’éd­i­fice, long, très long, de brique rouge, abrite des cen­taines de cham­bre louées par la chaîne des Paradors nationaux, des cham­bres le plus sou­vent inoc­cupées. Autour, une chapelle et de la forêt. Pour l’ac­cès, il y a deux routes. L’une monte à pic, con­tre la façade de mon­tagne, depuis la plaine du fleuve Aragon; elle est imprat­i­ca­ble en mau­vaise sai­son. L’autre passe au pied du Mont Oroel, un piton rocheux du type “mail­lo”, nom que l’on donne en Jac­eta­nia à ces géants tec­toniques. Vingt-sept kilo­mètres de mon­tée. Une brise légère sur l’herbe pau­vre. Le silence. Une mai­son fer­mée dans un virage. Demi-heure plus tard, un four à pain ruiné. Sur le som­met, le vil­lage de Bernués. Il se détache sur une colline ronde. Autour le ciel, des nuages de bour­rasque, au loin Huesca et Saragosse. Une route étroite com­mence là. Elle mène au monastère. Pour l’avoir emprun­tée en voiture, je la sais longue. Il se met à pleu­voir, à grêler. Je souf­fle sur mes mains. Des talus déva­lent des gerbes d’eau. La pente est raide. Pas assez pour se réchauf­fer. Au bout d’une heure, une pelle mécanique sur le côté. En cab­ine, un ouvri­er chargé de net­toy­er les éboule­ments. Il télé­phone. Je fais signe et con­tin­ue. A la fin, le pan­neau qui annonce le monastère. C’est juste un pan­neau. Inchangée, la route sin­ue con­tre la hau­teur. Partout la mon­tagne, ouverte et des pins, et de la terre jaune. Encore une demi-heure. Au dernier croise­ment, là où l’on jur­erait que nul ne peut vivre, Botaya, un hameau. Un ermitage, quelques granges, des vieux pavés. Puis des kilo­mètres plat au milieu d’une forêt et c’est le Monastère. Il sur­git. On ne le voit pas. Soudain il est là, dans une clair­ière, long, rouge, austère, immo­bile. Le soleil revient. Je trem­ble. Je mange des figues. D’une voiture descend une famille de touristes. Les por­tières claque­nt. Des vapeurs flot­tent sur le bitume.

Amour

“Sait-on jamais pourquoi on aime un être? Voici longtemps qu’on a cessé de penser qu’il est meilleur ou plus beau que tout autre, mais avec lui on se sent bien. Ses défauts crèvent les yeux, il vous a fait souf­frir, on vous démon­tr­era qu’il n’est pas fait pour vous, mais près de lui vous éprou­vez une lib­erté. Et cette con­stata­tion, bien enten­du, ne sig­ni­fie rien sur sa valeur “en soi” ni sur la vôtre, que per­son­ne ne peut mesur­er.” Denis de Rouge­mont, Jour­nal d’une époque.

Chant

Levé à huit heures, con­tent. Déjà, au réveil, je me félic­i­tais de mon lit. C’est le hasard qui l’a ren­du aus­si con­fort­able. A force de démé­nage­ment, j’ai accu­mulé nos mate­las. Autre­fois, j’au­rai jeté, mais depuis quelques années, j’achète du haut de gamme. Arrivé à Agrabuey, j’ai tassé dans les nich­es, les recoins, les dessous, les mate­las inutil­isés; il en restait deux, sur lesquels Gala et moi dormions, largeur cent qua­tre-vingt. Pour gag­n­er de la place, je les ai empilés sur un dou­ble som­mi­er. Le résul­tat est inespéré: douceur, résis­tance, pro­fondeur — à ravir. Encore som­no­lent, j’ap­pré­cie cette réus­site. Dehors, il pleut. Je n’ai pas à sor­tir. Le rit­uel est le même: met­tre le café, vider les cen­dres, allumer le feu, puis con­sul­ter la presse dans cet ordre: France-Suisse-Espagne-Angleterre-Russie. Ensuite, musique et salle d’eau. Ce matin, j’ai été retenu par un oiseau. Peut-être celui qui chan­tait devant ma cham­bre ces nuits. Instal­lé sur le rebord de la fenêtre du salon, il regar­dait l’a­verse inon­der les toits de pierre. Un passereau chanteur à plumes jaunes et tête bleue (nous avons fait de l’or­nitholo­gie au vil­lage en mai dernier). Il est resté per­ché plusieurs min­utes. Avant de s’en­v­ol­er, il a émis un son grêle. Cela m’a réjoui. Comme si cette obser­va­tion oblig­eait à chang­er de point de vue sur le monde. Pris­es dans le silence, les maisons du vil­lage avaient soudain une âme. A la fois proches de la fonc­tion pro­tec­trice et magiques.