Couru dans Fribourg trois heures pour juger de l’état des armoires électriques. A Pérolles, il pleut et vente, sur la colline du Guintzet, il vente et neige. J’ai mon bonnet, une écharpe, je rabats la capuche, serre le col, baisse la tête et cours. Vers Givisiez, une éclaircie, puis l’averse. Sans cette eau, j’aurais mis des baskets. Pour le moment, tout va bien: les chaussures de policier, de gardien de supermarché ou je-ne-sais-quoi, noires, à coques, achetées en armurerie, de marque américaine, fabriquées en Chine, tiennent, elles ne m’arrachent pas la peau des pieds. J’ai le souvenir d’une paire ressemblante prise à Genève il y a dix ans en face du poste de police de Carl-Vogt. Comme je viens me plaindre, le vendeur a fait valoir que les agents ne courent pas. Aujourd’hui, tout va bien. De retour à la Gare, détrempé, je change le haut dans une toilette payante qu’un drogué tient ouvert pour moi, j’achète une bière, monte dans le train, écrit mon rapport et retourne m’enfermer dans l’arrière-boutique de Lausanne. Je lis, je mange, je dors. Le lendemain, même travail à Yverdon. Cette fois à la marche car je dois photographier les armoires, relever leurs numéros et adresses. Le temps est meilleur. Je visite aussi les bâtiments, écoles, bibliothèques, salles de théâtre, kiosques. Les passants s’arrêtent pour regarder ce type qui photographie une benne, un morceau de mur, une palissade. Et puis, il n’y a rien à faire ce lundi, dans Yverdon. Sauf dans les cantines; là, grande agitation; à midi, ils sont mille à manger et boire. Précisément à ce moment que je me mets à boîter. Dix minutes plus tard, le pied gauche lance. Je dénoue les lacets, il y a une fermeture éclair (pour une fois, qui mérite son nom). Encore cinq, trois, un kilomètre. Même scénario que la veille, retour dans l’arrière-boutique. Programmé depuis l’Espagne, le jour suivant, rendez-vous chez le médecin. Il fait le tour des problèmes (il n’y en a pas), demande: “autre chose?“
Je mentionne la cheville. Il faut montrer. Avec autant de sérieux que d’hésitation:
-Je ne crois pas que c’est disloqué. Attendez quelques jours et rappeler.
-Bien, dis-je, tout en songeant “je ne serai plus en Suisse”.
Imbécile que je suis, moi qui la semaine prochaine ai à boxer et courir dès sept heures le matin.