Mois : mars 2019

Paradis

Quand j’ob­tiens un ren­dez-vous de ma femme après deux semaines de négo­ci­a­tions, j’ai le sen­ti­ment d’avoir trou­ver la porte du Jardin.

De la minorité

Les homo­sex­uels? Et alors? Les ska­teurs? Les acro­bates? Moins nom­breux? Soit! Et les pro­prié­taires de chiens? Les cyclistes? Plus nom­breux. Ce qui nuit au règne de la majorité selon le principe de nos con­sti­tu­tions démoc­ra­tiques défait la lib­erté. “La” lib­erté au sin­guli­er, pas “les” lib­ertés. Le pluriel  est anti-démoc­ra­tique. La divi­sion par le nom­bre le plus petit ne prof­ite, jamais ne prof­it­era, qu’au pou­voir, c’est à dire à l’ex­cès de quelques-uns.

Courage

Le seul courage est de s’ex­clure absol­u­ment de la société, défi dif­fi­cile à hon­or­er, qui vaut cri­tique et absolue. Faute de quoi on recherche l’in­vis­i­bil­ité, con­quise pas à pas, obtenue et refusée, com­bat de tous les instants dont rêveront les généra­tions à venir alors réduites au statut d’ob­jet sous con­trôle vidéo.

Dieu violent

Christchurch, cette ville de Blancs névrosés, cette ville du bout du monde, hyp­ocrite, tolérante, fausse­ment tolérante, acul­turée, végé­tari­enne, immac­ulée, sur­ré­gle­men­tée. Pre­mière étape de mon voy­age en Nou­velle-Zélande en 1991. Suivirent deux semaines d’une cir­cu­la­tion Sud-Nord pen­dant lesquelles je me répé­tais: pau­vres gens, pau­vres idiots! Gen­tils, mais cupi­des, mais bêtes, mais pré­ten­tieux! Je me sou­viens de cette cam­pagne d’af­fichage du gou­verne­ment. Un habi­tant m’as­sura qu’il s’agis­sait d’un prob­lème nation­al et que j’avais tort de croire à une plaisan­terie, qu’en Europe, nous ne pou­vions pas com­pren­dre : “si tu jettes ton mégot de cig­a­rette dans la rue, tu es un crim­inel!” Aujour­d’hui, un dérangé tire dans les mosquées. Que fait la pre­mière min­istre? Elle se voile, pousse une larme devant les caméras et hon­ore le dieu vio­lent qu’ont apporté dans l’île une poignée d’im­mi­grés. Comme ailleurs, comme partout, elle favorise l’in­stal­la­tion de ce dieu idéo­logue. Et prof­i­tant de l’oc­ca­sion, elle inter­dit la vente des armes à feu. Le tireur, dit la presse, a été choqué par l’in­va­sion que subit l’Eu­rope. Com­ment dire mieux? C’est une inva­sion. Un grand mal­heur. La fin de la lib­erté, le sac de notre civil­i­sa­tion. Pro­mus par une classe poli­tique qui se pré­pare à gou­vern­er sans l’avis du peu­ple. Qu’elle livr­era, s’il se mon­tre récal­ci­trant, et livre déjà aux éner­gumènes d’importation.

Tom

Au cours de ce voy­age en bus, j’ai écouté, qui par­lait sans cesse, un Irlandais de sep­tante-neuf ans, poils héris­sés sur la tête, mau­vais­es dents, regard vif, que n’in­téres­saient que les tracteurs et les “pussies”. Dès qu’une femme mon­tait à bord, il van­tait son corps, lui fai­sait de l’oeil, l’ap­prochait, en fin de compte lui tendait son numéro grif­fon­né au revers d’une carte de vis­ite détournée.
-Where are you going! Fai­saient les plus hardies.
-I come to see you!
Quand il ne s’es­sayait pas à ce jeu, il attribuait des notes aux engins vis­i­bles le long de la route, tracteurs, goudron­neuses, pelles mécaniques, jeeps, motocul­teurs:
“Suzu­ki, very good! Komat­su! Chi­nese, but O.K. Does the job. Oh, Tata! Indi­an. Cheap!“
Puis sans tran­si­tion:
-But I’m here for “pussies”. Not you Alek­sander? Than, what do you do all the day?”

Température 2

Si tant est qu’il soit pos­si­ble, la chaleur a grim­pé. Quar­ante et un. Les pié­tons se traî­nent. Il sont rares. A huit heures, je prends le petit-déje­uner dans le salon de bois du Vayako­rn Inn et me recouche. Le voy­age d’hi­er  dans des bus sans air m’a achevé. A la poignée de la cham­bre, je sus­pends la pan­car­te “Do not dis­turb” — je m’en­dors. A midi, je sors. Les femmes de ménages atten­dent der­rière la porte. Pour ne pas les réveiller, je file sur la pointe des pieds. Dans la rue je con­state: oui, en fait oui, c’est pos­si­ble, il fait encore plus chaud que de l’autre côté du fleuve!

Vientiane

Jaune, pous­siéreuse, noyée dans la chaleur, la ville con­stru­it et entasse sur un petit kilo­mètre car­ré devant le Mékong, bars, hôtels et restau­rants, hôtel, restau­rants et bars devant lesquels défi­lent des touristes esseulés avant de pren­dre acte et boire, et manger et dormir.

Cabanis 2

“Dans ce Carmel qu’en­tourait une muraille ter­ri­ble, je ne vis jamais qu’une Car­mélite, tou­jours la même, qui pré­parait l’au­tel, quê­tait pen­dant la messe, bal­ayait et lavait à grande eau le dal­lage de la cour, devant la chapelle. Elle avait une fig­ure exsangue, juste la peau sur les os, et on dev­inait un corps sans poids sous cette bure. Je ne croi­sai jamais son regard, et jamais n’en­tendis sa voix. Elle s’age­nouil­lait au fond de la chapelle, et à la fin de la messe, mon­tait les march­es qui con­dui­saient au chœur, por­tant avec indif­férence cette bourse d’étoffe, pleine de sous, que tous les pein­tres de la Cène ont mise dans la main de Judas. Com­prends-tu? Cette petite sœur si pâle et mai­gre est morte évidem­ment aujour­d’hui, et elle a pu mourir pen­sant qu’elle n’avait rien fait. Grâce à elle, que je revois, si pau­vre, por­tant cette bourse que ser­rait un cor­don­net doré, rien ne m’au­ra jamais détourné, ni l’In­qui­si­tion, ni l’Eglise tri­om­phante de Rome, ni les papes chefs de guerre, ni les évêques bénis­sant les canons. J’ai su que l’Eglise exis­tait quelque part tou­jours, et qu’elle n’est pas à la mer­ci du scan­dale des hommes.” José Caba­n­is, Les Jardins de la nuit.

Cabanis

“[] il dut s’ar­rêter sur la place pour écouter l’eau des fontaines. Les villes étaient très silen­cieuses, en ce temps-là, et on pou­vait écouter l’eau des fontaines.” José Caba­n­is, Les Jardins de la nuit.

Sol

Les hommes ne sont pas des­tinés. L’in­ven­tion de la société, au-delà de la com­mu­nauté prim­i­tive, requiert un hori­zon: elle se détache sur un impos­si­ble qui est le fruit du déracin­e­ment prim­i­tif du mas­culin. La femme est préadap­tée, l’homme en guerre avec lui-même. L’imag­i­na­tion est le résul­tat des con­di­tions extrêmes du mas­culin, sauf quand elle n’émerge pas. Alors pas de société, un agroupe­ment, ce qui le plus sou­vent est le cas: tiers-monde, vie au ras du sol.