Cabanis 2

“Dans ce Carmel qu’en­tourait une muraille ter­ri­ble, je ne vis jamais qu’une Car­mélite, tou­jours la même, qui pré­parait l’au­tel, quê­tait pen­dant la messe, bal­ayait et lavait à grande eau le dal­lage de la cour, devant la chapelle. Elle avait une fig­ure exsangue, juste la peau sur les os, et on dev­inait un corps sans poids sous cette bure. Je ne croi­sai jamais son regard, et jamais n’en­tendis sa voix. Elle s’age­nouil­lait au fond de la chapelle, et à la fin de la messe, mon­tait les march­es qui con­dui­saient au chœur, por­tant avec indif­férence cette bourse d’étoffe, pleine de sous, que tous les pein­tres de la Cène ont mise dans la main de Judas. Com­prends-tu? Cette petite sœur si pâle et mai­gre est morte évidem­ment aujour­d’hui, et elle a pu mourir pen­sant qu’elle n’avait rien fait. Grâce à elle, que je revois, si pau­vre, por­tant cette bourse que ser­rait un cor­don­net doré, rien ne m’au­ra jamais détourné, ni l’In­qui­si­tion, ni l’Eglise tri­om­phante de Rome, ni les papes chefs de guerre, ni les évêques bénis­sant les canons. J’ai su que l’Eglise exis­tait quelque part tou­jours, et qu’elle n’est pas à la mer­ci du scan­dale des hommes.” José Caba­n­is, Les Jardins de la nuit.