Mois : février 2019

Lizana

Huesca, hôtel Lizana. Cham­bre mod­este au-dessus du Coso supérieur. Il fait chaud, je m’endors. Je rêve que je suis à l’hôtel Lizana, dans une cham­bre mod­este, chaude et agréable, avec son bureau de con­tre­plaqué, et der­rière le rideau, en pro­lon­ga­tion, le bal­con, quand soudain, le voisin est là, der­rière la vit­re, qui m’espionne. Je me pré­cip­ite. Qu’il s’en aille ! Il lorgne vers le lit. Avec Gala, nous faisons l’amour. Lui regarde. Je me pré­cip­ite, une fois encore le chas­se. Il revient. Je pousse Gala dans la salle de bains. Quand je reviens vers le lit, plusieurs per­son­nes. Elles sont assis­es, elles dis­cu­tent. Je veux les faire par­tir, je me ravise : par­mi elles, le pro­prié­taire du Lizana, si je le vide de la cham­bre, il m’obligera à quit­ter l’hôtel.

Corrida

Hier je plaisan­tais. Je ne plaisante plus. A dix heures, j’ai ren­dez-vous avec mon voisin à Pan­ti­cosa, la sta­tion de neige du val d’Ainsa. Nous rejoint peu après le cou­ple avec qui nous avons fait la sor­tie de ce lun­di. Les amis pren­nent un café, jugent de l’état du ter­rain, nous nous élançons. Trente min­utes de marche sur un sen­tier de cail­loux avec nos chaus­sures de robots, les lattes tenues sur le sac à dos. Plein d’énergie (mal­gré une nuit de deux heures), je vais d’un bon pas. A la sor­tie de la forêt, nous chaus­sons sur une neige dure et pati­nons con­tre la pente. Quand les prés raidis­sent, nous mon­tons en zig-zag, tour­nant sur place au bout de chaque tra­ver­sée. Ciel pro­fond et cimes blanch­es, moraines et roches pointues, le spec­ta­cle est grandiose. Puis vient la fatigue. Alec ouvre la voie avec son chien. Le cou­ple suit. Je me cram­ponne. Deux heures passent. Pre­mière pause. On me demande “com­ment ça va?”. Il faut croire que je ras­sure, car mon voisin bâton levé indique la des­ti­na­tion. Elle se détache dans les hau­teurs. C’est un petit som­met rond et crémeux à la forme de meringue. A vue d’œil, impos­si­ble de juger la dis­tance. Ce que Alec en dit m’inquiète : « nous sommes à peu près à la moitié ». Bref, nous repar­tons. Cette fois, il faut chang­er de direc­tion avec soin, sans per­dre l’équilibre. Un erreur et la pente vous roulerait trois cent mètres plus bas. Et quelle pente! Une heure s’écoule, une autre. Tous les vingt mètres, je repose sur les bâtons, souf­fle et fixe le but. On ne le voit pas. Je repars. M’arrête. Ne fixe plus que mes skis, leur mou­ve­ment, m’arrête encore et souf­fle. Alec monte tou­jours. Un clas­sique : on ne voy­ait pas le som­met, pour cause: il est plus haut, bien plus haut! Il faut mon­ter. Je songe à aban­don­ner. Ou plutôt, je ne vois pas com­ment je ferais pour con­tin­uer. En con­tre­bas, minus­cule, le cou­ple. Mais il gagne du ter­rain. Car désor­mais, tous les dix mètres, je campe sur mes skis, et red­oute le moment de repren­dre l’as­cen­sion. Jamais je n’ai aban­don­né. « Rien-jamais », me dis-je. Et de me raison­ner : cette fois, ce n’est pas pos­si­ble. Quand j’atteins le som­met, c’est sans un mot, impos­si­ble, trop fati­gant. Si pour­tant, je prononce : « affreux ! ». Alec me répond: « La descente va être superbe ! » Il ajoute : « j’aurai dû pren­dre de l’eau ! Je peux te piquer une goutte ? ». La descente ? Par­lons-en ! A mon habi­tude j’engage la piste de face. Alors je con­state que je n’ai plus de jambes. Du coton. « Oui, se moque Alec, c’est le prob­lème de la peau de phoque!». Et il tombe, dis­paraît dans un goulet. Le cou­ple s’engage. Il tombe. Moi qui ne tombe jamais, pre­mier virage, je tombe. Car nous skions sur une sorte de tourte glacée. Sur­face craquante, intérieur mou. Dont émer­gent les pier­res. Longue descente, une épreuve! A la fin, il faut charg­er les skis et marcher, encore marcher. Arrivé à la riv­ière, au fond de la gorge, je tends mon bidon pour le faire rem­plir: épuisé, je n’ai pas la force d’y aller moi-même (c’est à trois mètres).  A ‘approche de la sta­tion, je marche comme un alcoolique ou un explo­rateur lunaire, le torse en avant, posant mes chaus­sures au hasard, rumi­nant ma fatigue. Et enfin, après ces mil deux cent mètres de mon­tée, six heures de course, voici une chaise en ter­rasse, une chaise de café! Je m’y laisse choir, assoif­fé, inca­pable d’entrer dans le bar pour pass­er com­mande. Ce qu’Alec, preste­ment changé, de retour, fait pour moi.

Lieu

Quand ce qui a lieu a‑t-il lieu ? Dans l’acte n’apparaissent que des aspects du réel. Au moment du pro­jet, la représen­ta­tion sem­ble com­plète, mais c’est au sens strict une illu­sion, une série d’images de fab­rique. Après coup, l’événement est saisi dans son entier, mais par recon­sti­tu­tion, il y entre donc de la fic­tion. J’y pen­sais à pro­pos de mon prochain voy­age à vélo. Il suit peu ou prou le même itinéraire que le précé­dent, une diag­o­nale Sud-Nord-est à tra­vers l’Espagne, de l’Andalousie aux Pyrénées arag­o­nais­es. Me remé­morant les heures passées en selle, je voy­ais que l’activité de la con­science retient surtout l’effort (elle représente sous ce nom un ensem­ble de sen­sa­tions) et que celui-ci oblitère la rela­tion au paysage lequel ne se donne que comme une jux­ta­po­si­tion d’instantanés, sortes de clichés que le cycliste addi­tionne aléa­toire­ment en fin d’étape lorsqu’il cherche à recom­pos­er sa journée ; soit, tel vue d’un lac, ce bosquet, l’entrée d’un vil­lage, une pié­tonne, une sta­tion-ser­vice, et ain­si de suite. Songeant plus avant au voy­age que je ferai en mai, je le cher­chai, ne le trou­vant réal­isé ni avant ni pen­dant ni après, tout en con­statant avec sur­prise que le plaisir était aus­si grand à le pro­jeter, le faire ou se le remémorer.

Noms

Atavisme des noms pro­pres. Je con­nais un coute­lier qui se nomme Taille­fer, un sculp­teur de pier­res Piedrafi­ta, mon voisin guide de mon­tagne se nomme Mon­tanés; plus étrange, un homme sale, Pais; un répara­teur de pho­to­copieuses, Noirmain.

Concurrence

Pour l’anec­dote, on pour­rait juger que le prob­lème marx­iste de la “marge ten­dan­cielle du niveau de prof­it” est sup­plan­té par le prob­lème psy­ch­an­a­ly­tique du “réarme­ment de la moti­va­tion”. Et rap­pel­er com­bi­en leur coïn­ci­dence est por­teuse de dégâts.

Phoques

Mon voisin guide m’a sug­géré d’a­cheter des skis de ran­don­née. Chose faite en juin pour prof­iter de la liq­ui­da­tion, en l’oc­cur­rence le renou­velle­ment du stock de loca­tion. Inutile de dire, je ne puis juger du prix, j’ai regardé à la couleur et à la forme n’ayant pas chaussé de peaux de pho­ques depuis une sor­tie sur le glac­i­er du Tri­ent lors de l’é­cole mil­i­taire. Ce matin nous prenons le départ près d’As­tun. Qua­tre per­son­nes, un chien, con­tre la pente. “Ne lève pas tant, patine!”. Je m’exé­cute. “Regarde! Pour tourn­er! Tu vois?”. Alex mon­tre com­ment ramen­er le ski inférieur à l’hor­i­zon­tale, la car­rer dans la neige, chang­er l’ap­pui, rap­porter l’autre ski. Je souf­fle — ça va. La pente raid­it. Comme d’habi­tude: “que fais-tu là Alexan­dre? Tu pars pour New-York ven­dre­di, ensuite tu vas box­er au Laos, entre deux tu fais du vélo, et ce truc, c’est fati­gant, tech­nique, improb­a­ble, nom de dieu !” Car, il faut avouer, chaque sport neuf coupe le souf­fle selon des patrons dif­férents. Ici, j’ex­plore la manière. Cepen­dant, nous mon­tons. Autour de 1600 mètres, la vis­i­bil­ité tombe. Des rafales de neige piquent le vis­age (je porte des lunettes).
-Bien! Vous m’en­ten­dez…? Nous tra­ver­sons un couloir d’avalanche. Dis­tance, vingt mètres! Cha­cun a son Arva (un détecteur de vic­times, je viens de trou­ver la tra­duc­tion)?
-Tu n’as pas dit de la pren­dre!
-Quoi?
-J’ai pas!
-Bon, ça ira! Allez, je vais devant.
Alec s’en­fonce.
Le skieur qui suit me tape l’é­paule : “à ton tour!“
Je marche, je glisse, je pense: “une cor­ri­da! On ne sait pas où est le dan­ger, mais ça va.”. Quelques min­utes plus tard, tout le groupe est là, réu­ni, deux cent mètres encore, nous grim­pons jusqu’à l’ ”ibón”, “le nom que l’on donne aux lacs dans les Pyrénées” (explique Alec). Alors, efface­ment des reliefs, le vent fou­ette, tout dis­paraît sauf le chien. Retrait de peaux de poque et descente dans une semoule sans haut ni bas, avec un prob­lème: la femme qui accom­pa­gne notre équipée a per­du ses repères. Con­crète­ment, elle ne sait plus la base ni le som­met.
-Mm, fait Alec, ça arrive, c’est l’or­eille interne!

Consommables

Que de baliv­ernes ne nous éver­tuons-nous pas à défendre sous pré­texte de morale alors qu’il ne s’ag­it le plus sou­vent que d’un dis­cours prêt à l’emploi, jetable et par déf­i­ni­tion fab­riqué selon le besoin! Méti­er de politi­cien que d’of­fici­er avec ces expé­di­ents. Or, la pop­u­la­tion est aujour­d’hui politi­ci­enne. Toute. Preuve que quelqu’un pense. Et bien.

France (avant nous)

Man­i­fes­ta­tions en France. Des blancs. Pre­mier instan­ta­né de la divi­sion qu’­ex­ploite et fera aboutir la puis­sance d’ar­gent pour créer dans le lab­o­ra­toire social les vio­lences néces­saires au ren­force­ment de son arbi­traire. Les ponc­tions légitimes déjà détournées — partout en Europe, en Suisse aus­si — qui ne sauraient tarder à devenir impôt somp­tu­aire con­fisqué au prof­it de la tech­nocratie avec, en sit­u­a­tion de réces­sion de l’é­conomie, généra­tion arith­mé­tique de pau­vreté et de mis­ère, puis de mal­adie, de mort.

Image

Que se passerait-il dans les cerveaux si aujour­d’hui toute tech­nolo­gie d’im­age mobile était supprimée?

Epistémologie

Usage aus­si intéres­sant que péremp­toire des qua­tre caus­es aris­totéli­ci­ennes par Bernard Stiegler qui établit dans le cours d’un entre­tien que la bio-tech­nolo­gie ne peut plus  être con­sid­érée comme de la sci­ence (à la dif­férence de la biolo­gie con­tem­po­raine) en ce qu’elle nég­lige la cause finale (la des­ti­na­tion de l’ef­fort de con­nais­sance) pour rabat­tre toute la recherche sur la cause effi­ciente priv­ilé­giant ain­si une ratio­nal­ité a‑critique qui vaut comme alpha et omé­ga de la valid­ité épistémologique.