Quand ce qui a lieu a‑t-il lieu ? Dans l’acte n’apparaissent que des aspects du réel. Au moment du projet, la représentation semble complète, mais c’est au sens strict une illusion, une série d’images de fabrique. Après coup, l’événement est saisi dans son entier, mais par reconstitution, il y entre donc de la fiction. J’y pensais à propos de mon prochain voyage à vélo. Il suit peu ou prou le même itinéraire que le précédent, une diagonale Sud-Nord-est à travers l’Espagne, de l’Andalousie aux Pyrénées aragonaises. Me remémorant les heures passées en selle, je voyais que l’activité de la conscience retient surtout l’effort (elle représente sous ce nom un ensemble de sensations) et que celui-ci oblitère la relation au paysage lequel ne se donne que comme une juxtaposition d’instantanés, sortes de clichés que le cycliste additionne aléatoirement en fin d’étape lorsqu’il cherche à recomposer sa journée ; soit, tel vue d’un lac, ce bosquet, l’entrée d’un village, une piétonne, une station-service, et ainsi de suite. Songeant plus avant au voyage que je ferai en mai, je le cherchai, ne le trouvant réalisé ni avant ni pendant ni après, tout en constatant avec surprise que le plaisir était aussi grand à le projeter, le faire ou se le remémorer.