Ainsi vont les choses, j’ai écrit six livres depuis l’année passée, deux essais, un roman, deux récits, et un… comment le qualifier : en corrections ces jours, Paléodémassificateur est hors catégorie. Ceci pour dire, que dire par écrit ne permet pas, faute d’être publié, d’être lu, ce qui pourrait, quoique j’ai toujours jugé que l’acte d’écrire relevait de la foi, raboter les énergies primitives qui prédestinent à l’art, ici celui de faire des textes, et font de la vie de l’écrivain une vie d’écrivain.
Mois : décembre 2018
Rêve X
Nombre d’interrogations autour du rêve. Sujet aux occurrence nocturnes les plus étranges, peu enclin cependant à en tirer d’hâtives interprétations, je me suis contenté pendant des années de recevoir, si possible d’enregistrer, puis de transcrire. Or, se multiplient les étrangetés qui m’obligent à faire retour à ce que Jung croyait pourvoir établir sur la transitivité des rêves obsessionnels entre individus généalogiquement liés. Ainsi ma fille Luv, auprès de qui jamais je ne me suis ouvert des mes rêves récurrents, me confie le mois dernier se trouver plus d’une fois par semaine à bord d’une voiture lancée à grande vitesse dont elle ne peut actionner le frein. Il se trouve que si le rêve de l’avion qui tombe, fait pendant plus de trente ans, a cessé de me visiter depuis l’an dernier, celui de la voiture demeure fréquent, et avec les mêmes détails
Agrabuey
Jours de grand calme. Dans le pré au-dessus de la rivière, les vaches. Elles agitent leurs cloches derrière les arbres, les corps sont invisibles. Un bruit métallique dans l’escalier qui conduit à l’église. Je sors. Juan afile sa hache. Plus tard, j’entends débiter le bois. Vers la fontaine, un chantier. Le maire et son ouvrier bâtissent une salle de bains dans les étages d’une maison étroite. Je me couche tard, je me lève tard. Hormsi Juan et sa femme, nul ne passe dans la rue — si, les livreurs qui apportent les cadeaux de Noël commandés sur internet, en tout dix paquets et sept fournisseurs, Madrid, Saragosse, Paris, Pékin, Houston. Et puis mercredi c’est jour d’épicerie. Le camion déboule sur la place, ouvre ses éventaires, les femmes prennent le tour. Alisse va la première, elle a nonante-trois ans. Vers midi, j’achète une seiche géante et un choux fleur au bourgeonnement géométrique, quasi-fractal (même goût que le brocolo). Pendant la cuisine, verre de rouge du Somontano. Le soir, séance de suspensions. J’accroche à la poutre, je chronomètre quatre cent tractions. Enfin, visionnement de deux matchs de MMA (dont l’extraordinaire Gustafsson) et travaux en ligne pour gérer, du fond de mon trou, les réseaux d’affiches.
Rêve
Ami intime des Frank, Anna m’a remis des cahiers inédits de son journal. Le metteur en scène montre en public le drame de la famille avant l’arrestation, je joue le rôle du confident extérieur. La pièce, sommes-nous convenu, doit servir à sauver les Frank. Soudain, on braque une arme sur moi, on tire, la balle se loge dans le front, je suis mort. Le rideau tombe. Lorsque je me relève, le metteur en scène m’explique: “désolé, j’ai changé d’avis; je suis passé dans l’autre camp, il n’y a aucune raison de sauver ces juifs”. Eberlué, je traîne un peu en coulisse. Aucun des membres de la troupe. Au lieu de quoi il y a des pupitres et des élèves penchés sur leur copie — j’en suis. Le metteur en scène maintenant joue le rôle du maître. Il distribue une brochure plastifiée de six pages. Et déclare l’examen ouvert. Ma voisine, belle femme, demande mon aide. Les écritures portés sur la brochure sont illisibles, la consigne introuvable, quant aux lignes, elles flottent.
“Donnez! En s’entraidant, on doit pouvoir comprendre!“
Je me creuse la cervelle, je feuillette. Troisième page, je m’écrie:
-Crusty!
Le femme, interdite.
-Là, voyez, c’est un crusty! Une sorte de sandwich américain! Donc ce que nous avons là, c’est un menu!
Aussitôt ma voisine fond en pleurs, elle porte les mains à son visage, se lève, fuit.
-Que fait-elle? Gronde le metteur en scène et maître, c’est un examen, on ne part pas!
Et moi:
-Mais enfin, tu ‘aides jamais personne toi?
France
De Gaulle était le dernier homme politique au sens où l’on peu avec ce titre gouverner pour la France et non pour soi; Mitterand, le dernier homme politique au sens où l’on peut gouverner pour soi et non pour la France — ensuite, ce ne sont plus que demi-experts, cadres supérieures et graines de parti.
Route
Longue route. Mil deux centre kilomètres entre hier et aujourd’hui. Ce même sentiment toujours: ce que je fais? Que fais-je? Je conduis. Fondement de la peur. A cent trente, cent-cinquante. Alors je freine. Et accélère. M’inquiète de cet appareillage avec la machine. Je baisse la vitre pour me souvenir: je suis vivant. Au milieu du désert. Jaén, ses oliveraies. Le Nord de Grenade, la sierra de Guadix, les moulins de la Manche. Tolède, le périphérique serré de Madrid-M50, puis les terres rouges, apaches, gitanes, troglodytes de Medinaceli et Santa-Maria la Huerta près de Soria. Me penchant au-dessus des pont j’aperçois les chemins, les rivières, les hameaux tassés, oublieux courus à vélo en mai. Puis le col Monrépos, en Aragon, passé seul, en pole position, à quinze heures, tout le monde mange. Et de loin, je vois, je devine, j’atteins sous la grêle, ma maison, Agrabuey.
Lune
Seul à dîner en soirée dans la salle de restaurant de l’hôtel Tryp de Guadalajara. Le maître d’hôtel verse du vin, encore du vin.
-Ne vous inquiétez pas, il n’y a qu’un verre avec le menu, mais moi, ce que j’en pense…
-Impensable chez nous, je veux dire en Suisse…
-Vous êtes Suisse? Le pays riche! Combien d’Espagnols sont allés en Suisse!
-Beaucoup de Galiciens.
-Les Galiciens, c’est bien connu! Il y en partout! Même sur la lune!