Seul ce soir et ces jours. Les enfants et Gala arrivent jeudi à Barcelone, je roulerai sept cent kilomètres. A peine sorti. Me faisant discret. Aucune envie de croiser, de parler, de féliciter ni de raconter. Au point qu’hier, comme je marchais le long de l’eau, il me vient l’idée de prolonger jusqu’à l’ermitage du Saint-Graal. Je vais un bâton à la main, des chiens gardent la ferme. Devant le pont, je renonce à prendre le sentier, je continue par la route (pas envie d’abois). Mais alors j’entend des rires. Des silhouettes au fond de la vallée. J’ai rebroussé chemin. Plus tard, je ressors. C’est presque nuit. L’heure d’aller couper un sapin. La hache norvégienne et les gants de garagiste dans un sac, je monte par l’église, rejoins le sentier du Nueno. Surgit Manal. Pendant toute la discussion, il tient une pierre à la hauteur de ma tête. Comme moi, il appelle le gouvernement de France, “les monarchistes”. Après s’être souhaité un bon Noël, il lance:
-La prochaine fois, il faut qu’on parle de politique planétaire.
Dix minutes plus tard, j’ai mon arbre. Moyen (l’an dernier il mesurait trois mètres), touffu et bien galbé. J’emballe les cadeaux en musique. Ouvre mes bières. Et me couche. Ne dors pas. Me relève. Toutes sortes de livres dans la chambre, Simenon, Montaigne, Polanyi, Calaferte, mais l’impression ne me quitte pas; elle suggère, “attend l’année prochaine! ne fais plus rien! c’est assez pour 2018!”. Conseil, long feu. Sur la table, devant la cheminée, je travaille aux albums de photos. Six heures d’affilée, je coupe et colle des clichés pris sur les dernières vingt années. Olofso, Aplo. Luv. Gala. Au squat, dans le Gers, les Landes, au Mexique, à la mer, à la montagne, à la plage, et les enfants de la taille de ma main grandissent au fil des pages…
Mois : décembre 2018
Noël
Conscience-machine
Que la conscience soit, comme le postulent les philosophes théorisant dans le giron du posthumanisme, une fonction émergente de la matière, je veux bien et l’admets d’autant plus volontiers qu’il s’agit souvent dans le camp anglo-saxon de battre en brèche les idéologues créationnistes. Le problème survient lorsque ces mêmes philosophes infèrent de ce postulat la future calculabilité de cette conscience qui devient dès lors une fonction supplémentaire de la machine. Imputation contradictoire d’ailleurs, puisque d’un côté ces philosophes misent sur la singularité (la machine, ou l’hybride homme-machine, acquiert des qualités qui dépassent le jeu des causes), de l’autre côté ils prétendent faire émerger la conscience en tant que qualité qui dépasse la compréhension d’une démarche volontaire et scientifiquement ordonnée.
Avocats
Il y a dix jours à La Cala del Moral, j’achète de nuit, à un marchand à la sauvette posté devant le supermarché dix-sept avocats. A l’aide d’une balance à main, il les pèse. Comme lui, je lis 2,450 kg.
-Là, ça fait exactement deux kilos! Deux euros!
Voyant la pièce, il me remercie, ce n’est pas assez, il me sert la main.
-Mettez-les au chaud sur le frigidaire et attendez cinq jours.
Le lendemain, je le croise dans la rue, il accompagne son fils à l’école, et baisse les yeux.
Vision d’un latin
Note du Journal de Miguel Torga, datée du 29 septembre 1950, il est à Lausanne:
“Ces gens finalement, ne doivent pas être heureux. En y regardent de près et avec attention, on observe une sorte d’amertume pétrifiée sur chaque regard. La mécanique sociale fonctionne parfaitement, comme un chronomètre. Reste à savoir si, dans chaque pièce du mécanisme il n’y a pas une nostalgie anarchique et cachée, un cri de révolte étouffé.
Peut-être est-ce une impression personnelle. Mais il viendra un jour, je crois, où sera nécessaire une psychanalyse collective de ce peuple, une radiographie en série de toutes ces vies. Libéré de son geste mécanique et conventionnel, le coucou aura enfin la possibilité de se défouler. De raconter comment, pendant si longtemps, il apus supporter la solitude, au fon du boîtier de l’horloge…”