Mois : décembre 2018

Adolescence

Enfin à l’âge où je vais faire ma cham­bre d’ado­les­cent; pour mon grand bon­heur, cer­taines pas­sions retardées sont tou­jours vives — les mains suff­isent. Quand mes enfants quit­teront le domi­cile, je vais illus­tr­er une pièce. Cette pièce sera dédiée à la mémoire tra­vailleuse. Elle fonc­tion­nera comme une exten­sion de la per­son­nal­ité, pièce que je dénomme ado­les­cente car elle per­met à celui qui l’oc­cupe de visu­alis­er ses choix, ou jalons ou obses­sions, après accrochage con­tre les parois de la cham­bre (une pièce devient cham­bre après soin). Ces accrochés sont autant de rap­pels, de volon­tés, de pré­ten­tions que l’on a tout loisir de raison­ner sous forme de caté­gories. Donc je sus­pendrai, organ­is­erai, accrocherai, dans le désor­dre, à force de clous, sur les ver­ti­cales, afin que survi­enne dans le cours de la con­tem­pla­tion un ordre, mes livres, mes haches, mon matériel de vélo, mes tableaux religieux, ma col­lec­tion de cail­loux, mes vingt-trois Casio, mes cordes à sauter, mes skate­boards, trois ency­clopédies, une pile de car­nets vierges. 

Télévision 3

Dire de ce qui est petit, « c’est grand ». Dire de ce qui est lourd, « c’est léger ». Et mon­tr­er le petit, le lourd afin que per­son­ne ne doute du pou­voir de l’image.

Henri Chinaski

Après deux litres de vin, com­ment fai­sait Charles Bukows­ki pour se relire ?

Télévision 2

Prouesse de ce médi­um entre tous génial : mon­tr­er en con­tinu une réal­ité qui n’existe pas.

Garde

L’organisme dont nous avions la garde avait été saisi dans un quarti­er sec­ondaire au début du cou­vre-feu. La police du périmètre avait rem­pli la fiche sans aucun soin de sorte que ma femme et moi, seuls vig­iles affec­tés pour la sur­veil­lance de nuit, nous pré­parâmes à faire face à toutes les éventualités.

Chat

Mon marc­hand de den­ti­frice, de sham­po­ing, de savon et de par­fum a un chat. Il est noir. Il a les yeux jaunes comme sou­vent les chats noirs. J’ai pour lui une grande sym­pa­thie car il ne sort pas du lab­o­ra­toire. C’est un ani­mal véri­ta­ble, biologique. Pro­duit par deux chats. Entouré de chiens minia­tures, drogués, aboyeurs, fous et coif­fés que leurs pro­prié­taires manip­u­lent, cajo­lent, exhibent per­suadés d’avoir entre les mains des homuncules, ce chat véri­ta­ble se réfugie sous le tri­an­gle pub­lic­i­taire de son maître savon­nier et, roy­al, assiste au cirque.    

Patates

L’habileté à con­duit les marchands de patates à créer des var­iétés spé­ciales. Nous avons ain­si des pommes de terre « à frire », des pommes de terre « vapeur », des pommes de terre « spé­ciales mets au fro­mage » ou encore des pommes de terre « à gratin ». Et depuis peu une nou­velle var­iété, des pommes de terre « tous usages ».

Spéculation

A six généra­tions, la seule spécu­la­tion sûre porte sur la fin du pét­role. Aujourd’hui comme autre­fois se créent sur de sim­ples cal­culs les dynas­ties. Con­di­tion : avoir les reins assez solides pour financer l’attente.

Mobile

Un ami de Mamère, voyageur con­traint, aux ordres d’une entre­prise qui le balade à tra­vers le monde.

-Il fait quoi ?

-Des mag­a­sins Ikea.

Actes d’antimondialisation 2

Plusieurs années, j’ai cher­ché à com­pren­dre quels intérêts ser­vait l’importation mas­sive dans nos sociétés d’énergumènes du tiers-monde mar­qués au sceau de la reli­giosité, arriérés et acul­turés (ne pos­sé­dant aucune cul­ture, ni la leur ni la nôtre). Les don­nées du prob­lème appa­rais­saient con­tra­dic­toires et irré­c­on­cil­i­ables. Détru­ire la démoc­ra­tie, certes. User de l’islam comme out­il indi­rect d’oppression, soit. Aug­menter le nom­bre de fonc­tion­naires à pro­por­tion du nom­bre d’énergumènes assistés afin de ren­forcer l’Etat, bien. Mais en fin de compte, je ne voy­ais là – pour le pou­voir – que des cal­culs à court terme, et le pou­voir, c’est bien con­nu, n’a qu’une visée : la péren­nité. A Flo­rence, j’ai observé l’une de ces com­pag­nies de la nou­velle économie qui fleuris­sent dans nos villes. En l’occurrence, un sys­tème de livrai­son de repas à domi­cile, à vélo, postes occupés par des immi­grés loque­teux qui dor­ment dans la rue et sur­vivent grâce à l’aide sociale (on ferait les mêmes obser­va­tions en se pen­chant sur ces entre­pris­es com­mer­ciales entre toutes néfastes que son Uber, Airbnb ou Glo­vo). Car il suf­fit pour se fig­ur­er pleine­ment l’usage des éner­gumènes dans notre sys­tème postlibéral d’abandonner toute référence poli­tique. Nous ne vivons pas dans des sociétés qui organ­isent entre les citoyens des rap­ports poli­tiques, nous vivons dans une entre­prise fonc­tion­nant à l’échelle mon­di­ale qui organ­ise entre ses employés un sys­tème de redis­tri­b­u­tion de l’argent du bas vers le haut.