Préparation

Occupé à trac­er ma route à tra­vers l’Es­pagne, je cherche à me fau­fil­er entre les mon­tagnes afin d’éviter les pas­sages par les cols aujour­d’hui régulière­ment desservis par des tun­nels, joignant des routes sec­ondaires, régionales ou vic­i­nales. Encore faut-il trou­ver le rav­i­taille­ment, donc des vil­lages habités, ce qui dans des provinces désertes telles que Ciu­dad Real ou Teru­el, n’est pas facile. Pour la pre­mière fois depuis que je me lance dans ces tra­ver­sées sur­git un obsta­cle aus­si para­dox­al que réel : le tourisme. Lorsqu’on a roulé huit ou dix heures, l’hô­tel le plus com­mode est celui qui accueille les camion­neurs. Ce n’est pas la même fatigue que celle du sportif, mais eux aus­si ont à récupér­er. Descen­dus de cab­ine, ils boivent, man­gent, aus­sitôt fait se couchent. Or, ces étab­lisse­ments sont dis­tribués sur les grands axes, ceux que le cycliste pru­dent évite. La solu­tion de rechange con­siste à finir l’é­tape dans des bourgs pourvus d’hô­tels de com­merce. Le bar et le restau­rant sont à prox­im­ité quand ils ne font pas par­tie de l’hô­tel. Mais à en juger par le peu d’hô­tels dans cette caté­gorie, la fig­ure du voyageur de com­merce relève du passé : les échanges numériques l’au­ront ren­due obsolète. Quoiqu’il en soit, me voici con­fron­té à des régions com­plètes où ne tien­nent le cou­vert et le lit que des familles dis­posant de cham­bres rurales, d’auberges de charme et de maisons d’hôtes. Par exem­ple, lors de la troisième étape, mon point d’ar­rivée devrait être Maran­chon dans la Province de Guadala­jara. Pour l’at­tein­dre j’ai comp­té 118 kilo­mètres. Cela sans con­naître les dénivelés, ni le cli­mat du jour (en ce moment, il pleut). Inutile de pré­cis­er, je ne peux pas ajouter vingt ou trente kilo­mètres pour rejoin­dre l’hô­tel. Et pour­tant, c’est bien ce que font les voyageurs: ils vis­i­tent (des sources sis­es près d’un lac si je com­prends bien) puis roulent cette dis­tance afin de se loger dans un étab­lisse­ment de qual­ité. J’a­gran­dis la carte élec­tron­ique. Je fouille. Rien à faire, pas de bourg, pas d’hô­tel mod­este, une ou deux étoiles, faisant bar et lit. Trois mou­ve­ments de pop­u­la­tions suc­ces­sifs, à la charnière du siè­cle dernier et du notre, expliquent cette sit­u­a­tion. D’abord, les jeunes ont migré vers les villes. Aban­don des vil­lages. Puis le tra­vail a man­qué. Sont demeurés les vieux et les retraités, tan­dis que les clients de pas­sages, camion­neurs ou voyageurs de com­merce, se rabat­taient sur les petites villes. Enfin, dernier mou­ve­ment, une offre réfléchie a été créée afin d’at­tir­er les vis­i­teurs loin­tains. Sur la foi de ces ren­trées saison­nières, quelques habi­tants ont donc adap­té leurs maisons à l’at­tente de ces argen­tés des cap­i­tales, pro­posant des séjours à thèmes. Non que j’y sois opposé, mais ces lieux étant tenus d’avoir du cachet, ils se dressent sur des promon­toires, occu­pent des vieux moulins ou des châteaux, et entre les péri­odes d’af­flu­ence, on se retrou­ve seul dans des cham­bres fan­toma­tiques sans une bis­cotte à se met­tre sous la dent.