Santa-María

Pour la huitième fois depuis le print­emps, je roule à tra­vers l’Es­pagne des Pyrénées à la mer andalouse, et chaque fois je suis stupé­fait par la beauté du paysage. Sur les plateaux d’Aragon, aux envi­rons de San­ta-María del Huer­to, une cape de neige cou­vre la terre rouge, enfon­cées dans les canyons, les villes troglodytes sont pleines de ciel et de soleil. Les déserts suc­cé­dant aux déserts, ce spec­ta­cle a duré toute la mat­inée. Dans les pays étroits et courts, la Nou­velle-Zélande, la Suisse, aus­sitôt man­i­festé le paysage se dérobe. Il n’y a pas le temps de la con­tem­pla­tion. L’œil doit saisir au vol, le plaisir tient au sou­venir. Alors que face à cette immen­sité, l’e­sprit prend ses ais­es, il entre en médi­a­tion. Si bien que l’on finit par s’in­quiéter. Qu’y a‑t-il der­rière les canyons, les champs, les gouf­fres et les canyons? La route les donne à voir, mais une fois la route sup­primée? Sur les ver­sants cassés des collines, des chemins appa­rais­sent, mais leurs pentes sont impos­si­bles, on les devine tracés par des paysans pour l’usage des champs. Peut-être même ne sont ils plus emprun­tés. Des voies antiques, délais­sées après que les voitures ont rem­placé les mules. Alors, ces chemins finis, que trou­ve-t-on? Juste­ment, on ne sait pas. Der­rière, à cent kilo­mètres, ce sont d’autres déserts, ceux de Teru­el, avec ses vil­lages au ras de la terre qui ne tien­nent que par les clochers. Mais entre deux? Des matières brutes. S’il y avait des instal­la­tions humaines, elles ne sont plus vivantes: quel Espag­nol irait aujour­d’hui à pied? A l’é­tape, j’écris à Mon­frère. Qui répond: lors de ma tra­ver­sée à la course à pied de l’Aragon (qua­tre marathons enchaînés), c’est aus­si San­ta-María del Huer­to que j’ai retenu comme futur point de départ.