Le courage ne mérite donc vraiment d’être appelé le courage [selon Platon dans le Lachès] que s’il s’ordonne à la liberté. Mais on pourrait inverser la formule. La liberté ne mérite vraiment d’être appelée la liberté que si elle trouve des hommes assez courageux pour la défendre. Car elle ne se suffit pas à elle-même. Elle renferme le thème général de l’Occident, c’est exact, mais il n’est pas écrit d’avance qu’elle le renfermera toujours. Eric Werner, Un air de guerre.
Mois : août 2017
Tard
A l’instant, je finis de regarder un film dans mon salon surchauffé. Pour me rafraîchir, je sors sur la terrasse. Le long du quai déambulent les promeneurs, des enfants rebondissent sur le trampoline de la plage, au restaurant El Fogon del Abuelo, le patron réunit trois tables et lisse les nappes, une famille de huit personnes s’installe pour souper. Il est minuit trente.
Paralogisme
Dans l’avion qui me ramène à Séville, deux sœurs petites, belles et drôles. Elle sont assises derrière moi. Pendant deux heures, elles jouent. Chose étonnante — l’aînée n’a pas six ans — avant de commencer, elles discutent les règles du jeu. Enfin, l’appareil entame sa descente. Au sol, la campagne sèche d’Andalousie jalonnée de ses retenues d’eau. Mon siège est dans la rangée vingt-six, j’ai la vue longue sur les autres passagers. Et que vois-je? Dans un mouvement quasi synchrone, tous les passagers se pressent contre les hublots. S’ensuit un moment de silence, puis des commentaires. Le jeune couple installé devant moi:
-Tu vois? Tu as vu? Qu’est-ce que c’est?
- Je ne sais pas, je ne sais pas, fait la fille.
Alors la cadette des gosses, derrière moi:
-Papa, l’hélice s’est arrêtée!
Assis côté couloir, je ne peux pas juger par moi même, ma voisine, une Galicienne avec qui j’ai échangé quelques mots, remplit le hublot. Ma main se crispe sur l’accoudoir. Le père tranquillement:
-Mais non Cindy, c’est un volet. Il se lève pour freiner l’avion. Tiens, je vais te montrer… Nous planons… dans l’air…
Immobile
L’hôpital des urgences, de l’autre côté de la rue, a enclenché sa centrale d’air conditionné. Installée sur le toit, le moteur fait ce bruit: “cla-cla… cla-cla”! Le même que les trains lorsqu’ils passent sur la voie et que résonnent les traverses. Mais le bruit ne passe pas, il est continu, je suis donc à l’intérieur du train, pour un voyage immobile.
Espagne
Chaleur étouffante, mais: qu’on est bien ici! A l’arrêt de bus, je bois à même le trottoir une bière pression servie dans un verre. Arrive le 160. Le chauffeur est souriant, il appelle la plupart des clients par leur prénom. Nous longeons le front de mer. Lorsqu’il aperçoit des jeunes qui se hâtent, il les klaxonne: peut-être veulent-ils prendre le bus? Au village, une foule calme, installée sur les terrasses dans la lumière orangée de dix heures. Avant que la nuit ne vienne, j’ai le temps de monter à l’appartement. Je sors avec anxiété sur le balcon: mon sapin est entier. Le propriétaire lui a donné de l’eau. Puis je vais manger à la Trastienda. Le serveur me salue. Il apporte un plat andalou. Avec la voisine de table, nous parlons des meurtres de Barcelone. Elle a raison: c’est ce mode de vie, confiant, honnête, simple, populaire qui est attaqué. Puis elle me présente sa tante, une dame de cent ans. Pendant le repas, elle était de dos. Je l’ai vue manger son plat de crevettes à décortiquer, elle a bu une bière. Maintenant, j’apprends son âge. Cette très vieille dame s’en va au bras d’une autre, bien plus jeune, disons dans les quatre-vingt-dix ans? Mais la robe de l’aînée fait un mauvais pli, remonte sur ses jambes. Ma voisine se précipite, rectifie.
Marche
Belle réussite que celle de Mamère: voilà des années qu’elle convie le troisième week-end d’août nos amis à la marche populaire d’Attalens, vingt kilomètres à travers champs et sous-bois, entre la Veveyse et la Glâne. Hier, nous étions onze. Aplo nous présentait sa première copine, Monfrère était venu avec son fils, des amis d’adolescence que je ne vois qu’à cette occasion nous avaient rejoint. Pendant les quatre heures de balade, les groupes se forment et se déforment, chacun allant aux nouvelles. Et lors des deux arrêts, une fois en ferme, la seconde fois dans la buvette d’un téleski pour enfants, nous mangeons du gâteau et buvons des limonades.