Mois : août 2017

Surindividualisme

La pro­pa­gande de masse a réus­si à nous faire croire que nous étions à nul autre com­pa­ra­bles. Ain­si, quand bien même nous ressem­blons à tout le monde, quand quelqu’un meurt, c’est tou­jours l’autre.

Quête

Bruit des valis­es à roulettes que les dérac­inés en quête d’e­space tirent sans cesse der­rière eux.

Pour les non-fatigués

Nous nous regar­dons mourir en société et, sans trop chercher, trou­vons des raisons. En réal­ité tout est bon: se laiss­er mourir n’a jamais qu’une rai­son, la fatigue de soi.

Valise

Gala décide d’ap­porter sa valise à Genève (nous ren­trerons en Espagne dimanche). Elle l’ou­vre, en retire la moitié des habits, les plie et les replie, les dis­pose sur mon lit, dans l’ar­rière- bou­tique. Puis elle me fait véri­fi­er l’heure du direct au départ de Lau­sanne. Je l’ac­com­pa­gne sur le quai. Arrive le train. Elle s’en va. Trois heures plus tard, elle est de retour. Elle a vidé la valise à Genève. Elle l’ou­vre et la rem­plit avec le reste des habits. Pour la sec­onde fois, je l’ac­com­pa­gne sur le quai de la gare de Lau­sanne et lui tends la valise. Elle monte dans le direct pour Genève.

Plante

Cette plante est for­mi­da­ble. Une pousse quel­conque, pro­mue à un des­tin gris. Non pas que je sache quel sont les voies qu’empruntent les sèves ou quelles ter­res sont rich­es, mais de la trou­ver ain­si, à l’époque,  épleurée devant la paroi amovi­ble d’un super­marché de la rue du Jura, à Fri­bourg, m’avait remué. Je n’aime pas le choses sol­dées, surtout quand elles sont vivantes. De plus, la cais­sière m’avait fait l’ar­ti­cle. J’ai payé cette plante Fr. 8.- Per­son­ne ne lui aurait don­né un semaine. Or, trois ans plus tard, elle est là, dans l’ar­rière-bou­tique. Et je ne la vis­ite que quelque fois par an. Elle pro­duit des feuilles, cherche la lumière de Lau­sanne, la trou­ve un peu, avale son lot de pous­sière située qu’elle est entre deux étagères rem­plies de livres. Et dure.

Ionesco

Le roi est nu. Ain­si soit-il!

Police 2

Cette remar­que sur l’in­ter­ven­tion admin­is­tra­tive des polices, j’en­tendais dire “après urgence”, je la consignais avant d’avoir lu l’in­for­ma­tion rel­a­tive à l’at­ten­tat de Barcelone que j’ap­prends à l’in­stant. Mes phras­es étaient motivées par le film Secu­ri­ty regardé dans mon arrière-bou­tique tan­dis que sur­ve­nait l’at­taque en Espagne. Peu importe, ce qu’elles sig­ni­fie dans ce con­texte que mod­i­fie pro­vi­soire­ment l’ac­tu­al­ité. Du moins faut-il insis­ter sur le fait que l’État a non seule­ment aban­don­née le peu­ple mais qu’en défen­dant son intérêt il engage le sac­ri­fice du com­mun. Nous ne sommes qu’au début du purgatoire.

Police

La police arrive après. Quand les citoyens ont fait le tra­vail et défendu leur vie. Dans notre sys­tème de marché général, l’État vend un ser­vice et l’honore à moin­dre frais.

Arrière-boutique

Après deux pannes de bat­ter­ies, sept cent kilo­mètres de route avec inter­dic­tion d’étein­dre le moteur, la pluie, les embouteil­lages et la nuit, nous déchar­geons dans l’ar­rière-bou­tique de Lau­sanne qui con­tient empilées jusqu’au pla­fond l’essen­tiel de mes pos­ses­sions, vingt-qua­tre litres de bière, six cents cachets de vit­a­mines, zinc, omega plus, a, b et d, les mail­lots de bain et les robes de soirée de Gala, les livres des­tinés aux amis d’A­grabuey, les affaires de Krav-Maga et les chaus­sures de course, de la vod­ka, du café et du beurre fon­du, les couteaux de cuisines et le couteau mil­i­taire acheté à Augs­burg, les vélos, les spat­ules de bois, des réserves de sel et de poivre en moulin, deux ordi­na­teurs, les habits d’été et d’hiv­er, les classeurs admin­is­trat­ifs français, espag­nols et le cour­ri­er que l’on a déposé à mon inten­tion, le tout, sur le sol, puis sur le lit, dans les espaces creux, sous les chais­es, der­rière les radi­a­teurs, en équili­bre sur les lam­pes à pied… bref, nous habitons une grotte. Une seule posi­tion est ten­able, les jambes con­tre la poitrine, le dos au mur. De cette posi­tion, je con­sid­ère le chantier. Plutôt, je me mets à détailler les choses. Et je vais de sur­prise en sur­prise. “Tiens, mon livre de Ver­laine, le hamac cam­bodgien, le foulard de Tudela, la machette, et là, l’a­bat-jour de Gim­brède, et ce pot… que con­tient-il? Des agath­es, celles que j’ai gag­nées à Fri­bourg… Plus haut, il y a les skates et ma veste de motard… La réplique du christ de Velazquez, un pan­talon de l’ar­mée thaïe, ce livre de Fanor que je n’ai pas encore lu…” Ce qui m’amène à ce pro­jet: racon­ter les six dernières années de vie en lisant le con­tenu de mon arrière-boutique.

Anniversaire

Munich — le 8 août Aplo fêtait ses dix-huit ans. Comme j’en avais l’in­ten­tion depuis ma pre­mière vis­ite il y a qua­tre ans, je l’ai emmené au Musée alle­mand. Au lieu de vis­iter les grandes salles où sont les bateaux et les avions, nous sommes passé par les ves­ti­aires et les toi­lettes afin de descen­dre de plusieurs niveaux et entre­pren­dre le par­cours des métiers du for­age, cir­cu­lant sous-terre entre recon­sti­tu­tions de galeries, veines de char­bon, de fer et de sel. Des enfants petits cri­aient. Les voûtes se mirent à réson­ner. Je ne dis rien. Luv réag­it la pre­mière: “ils sont pénibles!” Et Aplo: “que font les par­ents?”. L’oc­ca­sion de leur rap­pel­er la grotte d’Azé, en France. Ce jour-là, Aplo avait dix ans. Nous étions par­tis de Lhôpi­tal en voiture. C’é­tait un mer­cre­di, j’avais du tra­vail et deux télé­phones qui ne ces­saient de son­ner. Sur l’au­toroute, nous avons pris la mau­vaise bifur­ca­tion. Au lieu d’at­tein­dre la Bour­gogne, c’est Lyon que nous avons atteint. Une ban­lieue indus­trielle sous le soleil. Pen­dant que Gala inter­ro­geait des grues qui attendaient le client devant un dépôt de car­bu­rant, je négo­ci­ais un con­trat d’af­fichage. Aplo et Luv jouaient à l’ar­rière de la voiture. Quand nous sommes enfin arrivés à des­ti­na­tion, une classe de pri­maires s’est engouf­frée pour la vis­ite. Tout le long, ces goss­es que leurs pro­fesseurs ne rép­ri­mandaient en rien ont juré et chahuté, au point que j’ai fini par inter­venir m’at­ti­rant les foudres de Gala. Aplo et Luv ne s’en sou­vi­en­nent pas, mais ils doutent que ce puisse être pire que les cris de ces gnafrons qui courent à tra­vers les fauss­es galeries du musée alle­mand — pire, ça l’est. Plus tard, nous remon­tons jusqu’au jardin anglais par les berges de l’Is­ar. Aplo achète fière­ment son pre­mier paquet de cig­a­rette offi­ciel. La vendeuse du kiosque con­trôle sa carte d’i­den­tité, le félicite, lui offre des bis­cuits et un bri­quet. Enfin nous rejoignons Gala à la brasserie Oster­waldgarten, choisie parce que nous la fréquen­tons depuis que nous venons à Munich, mais aus­si parce que les deux enfants, out­re les prénoms et le nom, s’ap­pel­lent Vesten­skov, ce qui en danois, comme Oster­wald en alle­mand, sig­ni­fie “de la forêt de l’est”.