Après deux pannes de batteries, sept cent kilomètres de route avec interdiction d’éteindre le moteur, la pluie, les embouteillages et la nuit, nous déchargeons dans l’arrière-boutique de Lausanne qui contient empilées jusqu’au plafond l’essentiel de mes possessions, vingt-quatre litres de bière, six cents cachets de vitamines, zinc, omega plus, a, b et d, les maillots de bain et les robes de soirée de Gala, les livres destinés aux amis d’Agrabuey, les affaires de Krav-Maga et les chaussures de course, de la vodka, du café et du beurre fondu, les couteaux de cuisines et le couteau militaire acheté à Augsburg, les vélos, les spatules de bois, des réserves de sel et de poivre en moulin, deux ordinateurs, les habits d’été et d’hiver, les classeurs administratifs français, espagnols et le courrier que l’on a déposé à mon intention, le tout, sur le sol, puis sur le lit, dans les espaces creux, sous les chaises, derrière les radiateurs, en équilibre sur les lampes à pied… bref, nous habitons une grotte. Une seule position est tenable, les jambes contre la poitrine, le dos au mur. De cette position, je considère le chantier. Plutôt, je me mets à détailler les choses. Et je vais de surprise en surprise. “Tiens, mon livre de Verlaine, le hamac cambodgien, le foulard de Tudela, la machette, et là, l’abat-jour de Gimbrède, et ce pot… que contient-il? Des agathes, celles que j’ai gagnées à Fribourg… Plus haut, il y a les skates et ma veste de motard… La réplique du christ de Velazquez, un pantalon de l’armée thaïe, ce livre de Fanor que je n’ai pas encore lu…” Ce qui m’amène à ce projet: raconter les six dernières années de vie en lisant le contenu de mon arrière-boutique.