Homme à tout faire (suite)

Jusqu’i­ci il ne m’avait jamais été don­né de ren­con­tr­er un homme aus­si calami­teux. C’est peut-être pour cette rai­son que le pro­prié­taire l’emploie, me dis­ais-je incré­d­ule, afin éviter que les locataires ne récla­ment. D’abord, ce type, Paco, est un ouvri­er sans out­ils. Vous lui mon­trez le prob­lème. Il fixe la trappe (met­tons). “Vous avez un tournevis?” Ou alors un écoule­ment d’eau. “Je peux avoir un baquet?”. Ensuite, il tâte. En tâtant, il brise. Si c’est une vis, il la tord (je par­le de la trappe), s’il touche à l’é­coule­ment, aus­sitôt la pres­sion aug­mente. “Vous auriez un sec­ond baquet?” Quand il a fini, il faut engager une femme de ménage. Il jette tout sous lui. Pas seule­ment les déchets: les écrous, votre tournevis, le chif­fon. S’il fumait, il jet­terait son mégot sur la moquette (“vous n’avez pas un extinc­teur?” Cette fois, il s’agis­sait du cou­ver­cle du jacuzzi. Une pelure de vingt kilos, défon­cée, pleine de colle et de vieille pous­sière. Au pro­prié­taire, je demande à ce qu’il récupère ce truc qui m’en­com­bre. Ni d’une ni de deux: “Paco, récupère ce truc qui l’en­com­bre!”
- Atten­tion, c’est plein de colle, il faut des gants!
Le pro­prié­taire et Paco, muets.
- … une paire de gants de chantier.
-Mais non, fait Paco.
-Si.
Plus la moin­dre expres­sion dans le vis­age des deux hommes.
-Alors? Qu’est-ce qu’on fait? Demande Paco au pro­prié­taire.
-Eh bien, va acheter des gants!
Dix min­utes plus tard, l’homme à tout faire sonne à la porte — sans gants. Il monte sur la ter­rasse, sai­sis le cou­ver­cle. “C’est lourd! Je vais le couper. Vous auriez une paire de ciseaux?“
Quand il a coupé, mes ciseaux son cassés, il les jette au sol. Il empoigne le cou­ver­cle crasseux et s’en­file dans la cage d’escalier, tape con­tre les murs, noircit les pein­tures.
-Halte!
Il insiste. Je lui barre le pas­sage.
-Remon­tez-moi ce cou­ver­cle!
Je con­sid­ères mes murs mac­ulés.
-Regardez!
-Ce n’est rien. Vous avez une éponge?
Il mouille et frotte. Il étale.
-Mais enfin, c’est dégueu­lasse!
-C’est autonet­toy­ant, il suf­fit d’at­ten­dre !
Excédé, je le mets à la porte.
-Et ne revenez pas sans la solu­tion!
Peu après, on sonne. Paco est allé quérir le pro­prié­taire. Ensem­ble, ils mon­tent sur la ter­rasse, con­sid­èrent le cou­ver­cle.
-Tu vas le descen­dre par les ter­rass­es Paco.
Alors l’homme à tout faire sort de sa poche un bout de ficelle. De la ficelle d’emballage cadeaux… Plutôt que d’as­sis­ter au mas­sacre, je me réfugie dans mon bureau.
-Vous êtes là?
Le pro­prié­taire.
-Est-ce que vous avez un bal­ai?
Une minute plus tard, il rend le bal­ai à Gala tan­dis que Paco bourre le cou­ver­cle dans l’as­censeur. Je vais sur la ter­rasse supérieure, dans la cham­bre à couch­er, je reviens par le couloir et gagne la ter­rasse inférieure: tout est sale, le pro­prié­taire n’a bal­ayé que devant la porte et il a lais­sé la pous­sière sous le bal­ai.
Le soir, je sors dans le vil­lage, je croise Paco: chemise blanche, cra­vate, sa fille à la main, fier, l’air sat­is­fait. Il me salue. Il a fait du bon travail.