Mois : mai 2017

Plaire

Je sor­tais avec une fille qui ne me plai­sait pas. Elle ren­trait d’I­tal­ie. Elle dis­ait:
-Je suis fatiguée.
Avec Mon­père et sa femme, nous étions devant un feu, devant la télévi­sion, à côté d’un chat. Blanc et soyeux le chat.
-Il n’aime pas, dis­ait Mon­père.
-Quoi?
-Qu’on le caresse.
-Pour­tant, il a l’air.
-Oui, il a l’air.
Me tour­nant vers mon Ital­i­enne, je songeais: “n’ai-je donc trou­vé qu’elle? Il y a bien quelque chose qui me plaît, mais ce n’est pas son physique de sorte qu’il faut sans cesse que je me per­suade”.
Et me venait l’im­age du ter­rain que je venais d’a­cheter, dans une banan­eraie, sur une île. Un lopin.
“Il faudrait y con­stru­ire, une cabane, me dis­ais-je, mais com­ment faire pour les toi­lettes? Et que ferai-je là-bas? Manger du riz pour sym­pa­this­er avec les autochtones? Mieux vaut encore rester avec cette Italienne.”

Hauteluce 7

Encore dû m’ap­puy­er au mur. Demain, j’ai un entraîne­ment couteau-hache-fusil et qua­tre cent kilo­mètres de route.

Hauteluce 6

Le soir, avec la bière, ça va mieux. Le matin les ver­tiges repren­nent. Je marche sur sol ferme et soudain je marche dans la ouate. Luv est inter­dite de sor­tie. Son vis­age est brûlé. La lumière est décon­seil­lée par la phar­ma­ci­enne. Avec Aplo, nous descen­dons à Beau­fort à pied. Il se tient du côté du précipice. Nous par­lons poésie. Gala vient nous chercher en voiture. Il faut aller su super­marché. Elle prend la direc­tion de la mon­tagne.
-C’est en bas Gala.
-Mais non.
-Mais enfin, regarde ses lacets! Les super­marchés sont en plaine. Fais demi-tour!
-Je l’ai vu en descen­dant.
-Le pan­neau ou le super­marché?
-Puisque je te dis que je l’ai vu!
Vingt min­utes et cinquante lacets plus tard, nous aboutis­sons devant le chalet.
-Peu importe, fait Gala, il doit bien nous rester de quoi faire un repas.
Une heure plus tard, elle prend la route, retourne en plaine avec Aplo. 

Hauteluce 5

Dès le réveil, je chavire. Impos­si­ble de con­duire. Nous par­tons sur le sen­tier pour révis­er Alain, Mon­taigne, Rousseau et les thème du bon­heur. Aplo se place gen­ti­ment du côté du précipice pour éviter que je bascule.

Hauteluce 4

Une demi-journée sur les pistes des Con­t­a­mines en plein soleil. Luv est à ski, Aplo et moi avons loué des snow-scouts, sorte de vélo des neiges amu­sants à la descente, lourds à charg­er sur les télésièges. Le lende­main, je me rase face au miroir quand le sol chavire. Je dois me tenir au lavabo pour ne pas tomber. Je ferme les yeux, c’est pire. Je les rou­vre, c’est pareil. Je me couche et me relève. Seule la posi­tion assise convient.

Hauteluce 3

La route est arrêtée par une coulée de neige. Je tourne la voiture dans le sens du retour, nous pour­suiv­ons à pied dans l’herbe, dans la boue, sur une neige arti­fi­cielle molle et dure. Gala désigne en con­tre­bas un gros chalet.
- Donne les clefs, je vais chercher mon livre, on se retrou­ve à la buvette.
Nous con­tin­uons. Au loin, par­fois, un skieur glisse entre deux prés ter­reux. Gala s’éloigne. J’é­val­ue la dis­tance jusqu’à la buvette. Un kilo­mètre? Deux? Le drame. Elle va dis­paraître. Je serai respon­s­able. D’ailleurs, est-ce une buvette? A mesure que nous mon­tons, Aplo s’ex­clame: “c’est beau, c’est vrai­ment beau!” Luv s’oc­cupe des ses bas­kets en toile claire et de ses chevilles nues. Une heure plus tard, nous sommes près du Col de Joly. Nous rebrous­sons chemin. Direc­tion le gros chalet, “la buvette” comme a dit Gala. Sur la ter­rasse de planch­es, chais­es ren­ver­sées sur les tables. La porte est ouverte. La salle de restau­rant est dans le noir. Une voix appelle:
-Par ici Alexan­dre!
Der­rière un rideau de cou­ver­ture, un bar de mon­tagne. Dix employés applaud­is­sent notre entrée. Aplo et Luv sont effrayés. La serveuse, les moni­teurs, le cuisinier, les aides, les saison­niers et le paysan du coin. Ivres et joyeux. Ils par­lent remonte-pentes, Laos, surf, par­lent encore de Lille d’où est orig­i­naire un bon­homme à mous­tache qui pré­cise:
- Exilé fis­cal, j’habite en Bel­gique, pour ne pas pay­er l’ISF!
Ses gens dont nous ne savons rien savent tout de nous. Et Gala par-ci, et Gala par là, des copains de tou­jours. Ils ten­dent des bières, nous félici­tent:
-Alors comme ça, vous étiez per­dus!
Et Gala:
- Je leur ai dit que tu étais un colosse!
Il est vrai; nous venons de marcher une petite heure, sur un chemin, dans le soleil, en bad­i­nant.…
Et le paysan du coin, cramoisi:
- La nature, ça ne par­donne pas.
    

Hauteluce 2

Les valis­es déposées, nous mar­chons jusqu’au vil­lage. L’auberge du Mont-Blanc a un nou­veau pro­prié­taire. Il a dis­posé des four­rures d’ours sur les chais­es en bois. Nous frap­pons. Le pan­neau dit “ouvert”, la salle est éclairée. Nous revien­drons. A l’en­trée du vil­lage, il y a cette mai­son des anci­ennes douanes. Elle est per­cée. La route passe à tra­vers la mai­son. Je me demande com­ment on y vit. Les deux jam­bages sont trop étroit pour y met­tre des lits, la par­tie supérieure est sous toit. Tout manque. La route con­tourne ensuite le choeur de l’église et dévale. Puis elle monte jusqu’à Belleville où elle finit en impasse sur un départ de téléphérique. Que pou­vaient con­trôler ces douanes? Une dame appelle son chien. Je ne le vois nulle part. Elle passe près de nous, grimpe un escalier, réap­pa­raît sur le bal­con de la mai­son per­cée. Là, un chien aboie. Une porte claque, le silence est revenu. A Luv et Aplo, je désigne une vit­rine. Un ani­mal empail­lé y était exposé. Un san­gli­er  la gueule prim­i­tive et noire. Ses crocs élancés ressem­blaient aux ivoires des éléphants. Une notice écrite à la main pendait autour du cou. L’an­i­mal, dis­ait-elle, est un spéci­men unique, incon­nu dans la région, venant peut-être de Slovénie. L’ar­cade a été ven­due, elle est repeinte. La vit­rine est vide. De retour à l’Auberge, nous frap­pons. Il y a de la musique à l’in­térieur. Nous voyons une sec­onde porte. A notre entrée, une clo­chette tinte. Un verre de vin à la main, le patron sort de la cui­sine. 
-Votre porte est fer­mée!
Il tourne la poignée et tire. Tire encore. Hausse les épaules. Tourne la clef, ouvre. Un peu de neige glisse sur le toit. Elle s’écrase sur la pavé.
-Est-ce qu’on peut encore ski­er?
-On peut, fait le patron. Jusqu’à demain après-midi. 

Hauteluce

Huit ans plus tard, nous revenons dans le chalet de Hauteluce. Les enfants sont éton­nés. Il regar­dent le pré, les pentes, le clocher, les cimes, la rue. Aplo se sou­vient du chien noir. Poussé l’un con­tre l’autre, ils bavar­daient pen­dant des heures. “Il était vieux”, lui dis-je. Le cheval, lui, est tou­jours là. Quand Gala sort, il hen­nit. La tête vers nous, près de la grange, il attend sous le soleil, puis sous la neige.